"Le taux d’émission de CO2 à respecter par chaque constructeur évolue comme le poids moyen des automobiles qu’il vend" nous explique ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES, incroyable mais vrai...
SUV : une réglementation polluée
JUSTIN DELÉPINE - ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES
La méthode de calcul des seuils d’émission de CO2 définie par l’Union européenne encourage les constructeurs automobiles à monter en poids, et donc à polluer davantage.
On ne peut plus passer à côté : quasi-inexistants il y a encore quelques années, les SUV (Sport Utility Vehicle) ont en quelques années envahi les rues et les routes. Ces 4x4 urbains représentaient à peine 10 % des ventes en 2010, ils en constituent désormais plus d’un tiers sur le continent européen, et presque la moitié aux Etats-Unis.
Un frein à l’efficacité énergétique
La mode des SUV est d’une telle d’ampleur que, selon l’Agence internationale de l’énergie (IAE), l’augmentation des ventes de ces véhicules a été depuis 2010 la deuxième cause de la hausse des émissions de CO2 au niveau mondial. Sur le papier, ces imposants véhicules présentent en effet de nombreux inconvénients : plus gros, ils consomment davantage de carburant (environ 25 % de plus qu’un véhicule moyen), et sont plus dangereux pour les autres usagers de la route.
En France, la consommation moyenne de carburant au kilomètre des véhicules neufs ne diminue plus depuis 2015, alors qu’elle était en baisse constante depuis plus de 20 ans
En outre, le poids plus élevé des SUV ruine en partie les efforts des constructeurs automobiles pour améliorer l’efficacité énergétique de leurs véhicules. Certes, les moteurs d’aujourd’hui consomment moins d’énergie pour réaliser une même action. Mais ces progrès technologiques sont en partie utilisés pour augmenter le poids des voitures. Le serpent se mord la queue : en France, la consommation moyenne de carburant au kilomètre des véhicules neufs ne diminue d’ailleurs plus depuis 2015, voire tend à augmenter, alors qu’elle était en baisse constante depuis plus de 20 ans.
Avec tant de défauts, pourquoi les SUV ont-ils tant la cote ? Il y a bien évidemment les stratégies marketing et commerciales des constructeurs automobiles, qui à coups de publicités, vantent les avantages de ces grands véhicules confortables, puissants et clinquants. Mais il y a aussi une étrange réglementation européenne, qui pousse les fabricants de voitures à vendre des modèles plus lourds.
L’Europe appuie sur le champignon
Pour diminuer la contribution du transport routier au réchauffement climatique, l’Union européenne impose des amendes aux constructeurs dès que la moyenne d’émissions de CO2 des véhicules neufs vendus dépasse un certain seuil. En 2020, l’objectif est que, dans leur ensemble, les entreprises respectent un seuil moyen de 95 g de CO2 par kilomètre, contre 130 g précédemment. S’ils dépassent ce seuil, ils devront s’acquitter d’amendes conséquentes.
Cette moyenne n’est toutefois qu’un chiffre théorique : concrètement, l’objectif de 95 g de CO2/km est modulé pour chaque constructeur en fonction de l’écart entre le poids moyen des véhicules qu’il produit et le poids moyen des véhicules vendus en Europe (qui était de 1 390 kg en 2017). Cet objectif par constructeur est également une moyenne globale : le seuil indiqué est à respecter au niveau du total de ses ventes sur le continent, et non pas chaque véhicule au cas par cas. Autrement dit, Peugeot, Fiat ou Mercedes peuvent chacun vendre en Europe des véhicules qui dépassent le seuil réglementaire, dans la mesure où ils compensent cette surpollution par des véhicules dont les émissions sont, elles, inférieures à ce seuil.
A l’heure où la lutte contre le changement climatique devient urgente, la logique voudrait que l’effort demandé aux producteurs de véhicules lourds soit plus important que celui exigé des producteurs de véhicules légers. Et bien pas du tout : le taux d’émission de CO2 à respecter par chaque constructeur évolue comme le poids moyen des automobiles qu’il vend. Selon les calculs de l’ONG ICCT, Peugeot, avec un poids moyen de 1 273 kg, devra respecter un seuil de 91 g de CO2/km. A l’inverse, BMW, dont la balance pointe à 1 570 kg par véhicule, est autorisée à monter jusqu’à 101 g !
L’industrie allemande avantagée
Autrement dit, plus un constructeur vend des véhicules massifs, plus il peut dépasser le niveau de 95 g. « Or, plus le véhicule est gros, plus le coût pour y intégrer de la technologie de dépollution est faible », explique Tommaso Pardi, directeur du Groupement d’étude et de recherche permanent sur l’industrie et les salariés de l’automobile (Gerpisa). Autrement dit, il est plus aisé d’insérer des mécanismes limitant les émissions de CO2 sous le capot d’un gros SUV que d’une petite citadine.
Spécialistes du haut de gamme, Volkswagen, Daimler et BMW sont les grands gagnants de ce mode de calcul
« Cette réglementation pousse donc les constructeurs à une montée en gamme et en poids », résume Tommaso Pardi. Ils ont donc intérêt à vendre des SUV, et autres grosses voitures, pour faire augmenter le seuil réglementaire qu’ils doivent respecter. La justification officielle de cette législation est le principe d’utilité : comme les grosses voitures transportent théoriquement plus de personnes, il ne faut pas les pénaliser, et ne pas léser en particulier les familles nombreuses, contraintes de s’équiper de tels véhicules. Ce raisonnement ne résiste guère à l’examen, puisque le taux moyen d’occupation des véhicules est inférieur à 2. Autrement dit, les voitures sont la plupart du temps occupées par une seule personne.
Une autre raison vient cependant expliquer cette étrange réglementation : le poids de l’industrie allemande. Comme l’a constaté France Stratégie : « L’Allemagne a en effet réussi à imposer en 2008 un mode de calcul qui avantage les constructeurs de voitures lourdes. » Spécialistes du haut de gamme et des grosses berlines, les constructeurs allemands (Volkswagen, Daimler et BMW) sont les grands gagnants de ce mode de calcul, contrairement aux constructeurs français (PSA et Renault), davantage orientés dans des modèles de bas ou milieu de gamme.
Face à cette situation, les voix se multiplient pour instaurer un bonus-malus sur le poids des véhicules, afin de réorienter le marché vers une diminution du poids des voitures et stopper la mode des SUV et ses multiples conséquences environnementales négatives qu’ils engendrent.
La méthode de calcul des seuils d’émission de CO2 définie par l’Union européenne encourage les constructeurs automobiles à monter en poids, et donc à polluer davantage.