Je trouve sur MEDIAPART cet entretien fort intéressant sur la "bataille culturelle" à mener contre le F-HAINE, dont je
partage le constat de l'urgence.
Gaël Brustier est chercheur en sciences politiques, proche de l'aile gauche du PS. Il a publié Voyage au bout de la droite
(Mille et une nuits, 2011) et La guerre culturelle aura bien lieu (Mille et une nuits, 2013), un ouvrage sur la déliquescence intellectuelle et politique de la gauche face à la
droitisation de la société et ce qu'il nomme l' « idéologie de la crise », faite de peurs et d'obsession du déclin. Il revient sur la législative partielle de
Villeneuve-sur-Lot, qui a vu le PS éliminé au premier tour et le FN progresser de 7 000 voix entre les deux tours.
Les résultats du scrutin de Villeneuve-sur-Lot sont-ils une surprise pour vous ?
Non, pas vraiment. Il faut relativiser sur le long terme la percée du Front national : en terme d'inscrits au premier tour, il progresse mais
pas de façon spectaculaire, et pas partout. En revanche, le vrai phénomène culturel, le vrai basculement, se passe à droite. Nous assistons au basculement historique, culturel d'une partie de la
population, en lien avec la mondialisation. Dans une grande partie du pays, les frontières entre la droite et l'extrême droite, entre les électorats FN et UMP, sont en passe d'être abolies. Un
“bloc droitier” est en train de s'unifier du point de vue électoral.
C'est d'ailleurs ce que montre le mariage pour tous : une nouvelle génération de militants abolit les frontières culturelles entre droite et
extrême droite. Des cadres nouveaux, jeunes, la génération de Marion Maréchal-Le Pen en somme, émergent. Leurs références ne sont plus celles de leurs aînés de 35 ou 40 ans : pour eux, la
porosité entre droite et extrême-droite est réelle. La prochaine étape risque d'être le dépeçage de l'UMP. L'erreur d'une partie de la gauche est d'ailleurs de croire que le centre droit
catholique, jadis le plus rétif à s'allier avec l'extrême droite, sera toujours immunisé.
D'où l'inutilité du front républicain, invoqué par le PS au soir du premier tour ?
Pour qu'il y ait front républicain, il faut… des républicains. Or les résultats parlent d'eux-mêmes : + 7000 voix et 20 % de plus
pour le FN entre les deux tours, dans le Lot-et-Garonne, département qui fait partie de la grande tache rose du sud-ouest ! Dès lors, deux analyses sont possibles. Celle du secrétaire
national aux élections Christophe Borgel, qui, sans citer ses chiffres, affirme qu'il n'y a pas de problème de reports ou de déperdition de voix. Ou bien celle du chercheur Joël Gombin, qui, à
l'aide de modèles statistiques, montre une déperdition importante de voix de droite et de gauche vers le Front national. On sait désormais que dans les deuxièmes tour UMP-FN, le Front national bénéficie
d'importants votes de gauche. Par ailleurs, dans plus en plus d'endroits, le “bloc droitier” se livre sans coup férir au FN. Une partie de l'électorat est désormais capable de faire faire des
bonds de 20 points au FN dans l'entre-deux tours. C'est un phénomène nouveau.
Il faut donc abandonner la doctrine du front républicain ?
Le PS ne peut en tout cas plus utiliser le moulin à prières du front républicain, ce prêchi-prêcha qui ne veut plus rien dire et n'est surtout plus
opérant. Il faut en particulier se battre contre une règle débile qui voudrait qu'il y ait forcément un consensus minimal “républicain” entre la droite parlementaire et la gauche. On n'est plus
au temps des marqueurs gaullistes, des compromis sociaux de 1945. Entre Philippe Seguin et le PS, entre Léotard et le PS, il y avait des codes, un langage communs. On n'est plus dans cette
période-là. Par exemple, dans le Vaucluse on a assisté récemment à une polémique stupide sur l'élection de Marion Maréchal-Le Pen en juin 2012 face à l'UMP Jean-Michel Ferrand (le député UMP
sortant, membre de la Droite populaire et partisan d'une ligne très à droite, lire notre article – ndlr). Franchement, quelle est la
différence entre les deux sur le plan des idées ? À qui peut-on faire croire que le rôle de la social-démocratie ou de la gauche radicale peut être d'appuyer l'élection de ce monsieur, qui
appartient à la droite la plus extrême et suit benoîtement la droitisation de son électorat ?
Et le PS, lui, est éliminé au premier tour…
Si elle ne veut pas aller dans le mur, la gauche doit faire son aggiornamento. Et adopter une autre stratégie. Elle paie aujourd'hui des
années d'aveuglement, de surdité volontaires. Elle s'est réfugiée trop facilement derrière la commodité de la diabolisation et de l'indignation, en traitant le FN de parti “fasciste” et “nazi”.
Mais tout ça ne sert à rien car le pays est en profonde détresse sociale et civique ! La gauche doit aussi définir une autre ligne politique et mener un combat culturel. Quelle est la vision
du monde de gauche à opposer aujourd'hui face à au “bloc droitier” qui apparaît et semble disposer d'atouts très solides pour l'avenir ? La question est vertigineuse et on aurait dû
commencer à y réfléchir depuis longtemps. La gauche, en France comme en Europe, est dominée culturellement, tétanisée, en détresse idéologique, et ne fonctionne souvent que par slogans. On est au
bord du gouffre et elle ne sait pas quoi faire. Le problème, c'est qu'il est déjà très tard…
Gaël Brustier, La guerre culturelle aura bien lieu, Mille et une nuits, 2013