A quoi s’ajoute aussi le fait que les 146 recommandations de la conférence citoyenne pour le climat, qu’Emmanuel Macron affirmait vouloir soutenir « sans filtre », ne semblent pas devoir être pleinement prises en compte. Cela fait vraiment beaucoup de promesses non tenues.
Et cela d’autant plus qu’il existe d’ores et déjà des pratiques agricoles alternatives à l’emploi du glyphosate et des néonicotinoïdes. Ces techniques, qui relèvent d’une agroécologie scientifique (la discipline des agroécologues) et s’inspirent en même temps de savoir-faire paysans très anciens, ne visent pas tant à éradiquer les herbes concurrentes des plantes cultivées ou les pucerons qui leur transmettent des virus qu’à en réduire la prolifération et à minimiser leurs dommages.
Allonger les rotations de cultures
La première d’entre elles consiste à allonger les rotations de cultures et à diversifier les espèces cultivées au sein de nos terroirs. Si l’on veut limiter la multiplication des herbes indésirables sur un même terrain agricole, il convient de ne pas y cultiver tous les ans la même culture.
Cela a pour effet de perturber le cycle de reproduction de ces dites « mauvaises herbes » sur chacune des parcelles en n’y pratiquant pas tous les ans les mêmes travaux culturaux. Celles qui tendent à proliférer en compagnie d’une espèce cultivée particulière ne peuvent guère se reproduire en grand nombre les années suivantes au voisinage d’autres espèces dont la croissance et le développement interviennent à des dates différentes.
Quand, au cours d’une même année, au sein d’un même terroir, les parcelles sont occupées par des cultures d’espèces très variées, les insectes susceptibles d’occasionner de gros dégâts sur l’une d’entre elles éprouvent de réelles difficultés à se propager du fait que les cultures présentes sur les parcelles voisines ne leur sont guère accueillantes.
Si les parcelles de betterave à sucre affectées par la jaunisse avaient été plus dispersées dans l’espace et entourées de diverses autres cultures, les pucerons qui lui ont inoculé le virus à l’origine de cette maladie ne se seraient pas autant disséminés.
Espèces peu accommodantes
Et si les parcelles de betteraves avaient été entourées de haies vives hébergeant diverses espèces herbacées, arbustives et arborées, les pucerons n’auraient pas tardé à être neutralisés par les larves ou adultes de multiples insectes auxiliaires : coccinelles, syrphes, chrysopes, cécidomyies, etc. Les pertes de production auraient donc été bien moindres que celles observées cette année, sans avoir à employer de coûteux insecticides.
Parmi les cultures qu’il nous faudrait réintégrer au plus vite dans nos rotations et nos assolements, il convient de citer surtout les plantes de l’ordre des légumineuses : trèfles, luzernes et sainfoins destinés à l’alimentation des herbivores ; lupins, féveroles et pois fourragers consacrés à celle des volailles et porcins ; lentilles, pois chiche et autres légumes secs dont nous faisons trop peu usage dans nos repas. Ces espèces ne sont pas en effet très accommodantes pour les pucerons verts s’attaquant aux betteraves et autres cultures.
Et de surcroît, ces légumineuses nous permettraient de réduire notre énorme déficit en protéines végétales destinées à la nutrition animale. Pourquoi ne voudrions-nous pas mettre fin aux importations massives de graines et tourteaux de soja en provenance des Etats-Unis, du Brésil ou d’Argentine ? Soja dont les surfaces ont été étendues au détriment de forêts et savanes arborées naturelles.
Le président n’avait-il pas déclaré, au lendemain de la dernière réunion du G7 qui s’est tenue à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), qu’il nous fallait retrouver au plus vite notre « souveraineté protéinique » et ne pas signer les accords du Mercosur (communauté économique qui regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et le Venezuela) ? Encore une promesse vouée à être bafouée sans détour ? Une affaire à suivre.
A qui la faute ?
La somme de 100 millions d’euros annoncée dans le plan de relance pour inciter nos agriculteurs à cultiver des protéagineux paraît bien dérisoire, en comparaison avec les milliards d’euros de subventions de la politique agricole commune que perçoivent annuellement nos agriculteurs en proportion des surfaces disponibles.
Cela est d’autant plus regrettable que les plantes de l’ordre des légumineuses contribuent à fertiliser les sols en azote par la voie biologique et nous éviteraient d’avoir grandement recours aux engrais azotés de synthèse, coûteux en énergie fossile importée et très émetteurs de protoxyde d’azote, principale contribution de l’agriculture française au dérèglement climatique.
Etendre nos surfaces en légumineuses aux dépens de cultures dont nous ne parvenons que difficilement à vendre nos excédents à l’export serait favorable à notre balance commerciale extérieure du fait des moindres importations de soja et de gaz naturel.
Tout cela avait d’ailleurs été rappelé par la conférence citoyenne pour le climat. Mais au vu du projet de loi sur le climat actuellement en préparation, il est à craindre que cette promesse ne soit pas non plus tenue. A qui la faute ? A l’incompétence des technocrates qui entourent ceux qui nous gouvernent ? Aux pressions de puissants lobbys dont l’intérêt est de vendre toujours davantage de pesticides ? Sans doute les deux à la fois. C’est pitoyable !
Marc Dufumier est professeur honoraire à AgroParisTech et a publié « De la terre à l’assiette. 50 questions essentielles sur l’agriculture et l’alimentation » (Allary Editions, 2020).