A l’attention de Madame la Ministre de l’Ecologie, Ségolène ROYAL 246, boulevard Saint-Germain 75007 PARIS
Objet : Aux côtés de nombreuses associations, 24 530 citoyens demandent l’arrêt de l’abattage « à l’aveugle » des bouquetins dans le massif du Bargy en Haute-Savoie.
Le 9 avril 2014
Madame la Ministre de l’Ecologie,
Après avoir été éradiqué du territoire français au XIXème siècle, le Bouquetin des Alpes a pu être réintroduit dans quelques massifs. Aujourd’hui, sa population est estimée, en France, à seulement 9000 individus. Encore fragile, ce paisible animal, à la stature majestueuse, est devenu l’emblème des Alpes.
Sur le plan européen, la Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel protège le Bouquetin des Alpes. Sur le plan national, l’arrêté ministériel du 23 avril 2007 interdit l’abattage du Bouquetin des Alpes sur tout le territoire métropolitain et en tout temps. Malgré ces protections, l’arrêté préfectoral n°2013274-0001, signé le 1er octobre 2013 par le Préfet de la Haute-Savoie, ordonne l’abattage des bouquetins de cinq ans et plus dans le massif du Bargy. Valable un an, cet ordre d’abattage est consécutif à la découverte, en avril 2012, d’une souche de Brucella, bactérie responsable de la brucellose, dans le lait d’une vache. Pour comprendre l’origine de la maladie, des investigations ont été conduites, et ont permis de détecter la brucellose chez un certain nombre de bouquetins du Bargy.
Le 4 septembre 2013, l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES) a publié un avis sur le sujet. Dans ce rapport, les experts considèrent qu’initialement, l’infection est issue de l’élevage, et que les bouquetins ont assuré un relais silencieux entre le dernier foyer domestique de brucellose du secteur, datant de 1999, et le foyer de 2012. L’ANSES affirme que « le risque de transmission de la brucellose des bouquetins aux cheptels domestiques reste minime ». La contamination d’un cheptel domestique par des bouquetins « qui s’est produite en une unique circonstance sur 12 ans de cohabitation animaux domestiques – faune sauvage [...] correspondrait plutôt à un évènement de type accidentel et exceptionnel. » Ainsi, en automne 2012, l’absence d’infection chez les 211 troupeaux éventuellement exposés a été démontrée. Par ailleurs, des suivis GPS indiquent que, de nature sédentaire, les bouquetins du Bargy ne se déplacent pas vers les massifs voisins. Les experts évoquent plusieurs solutions alternatives à l’abattage massif, choix risqué à plus d’un titre, dont la vaccination, l’abattage ciblé sur les animaux séropositifs ou encore l’application de mesures de surveillance (« les contacts rapprochés entre bouquetins et ruminants domestiques sont rares »).
En septembre 2013, l’ANSES concluait que son « analyse ne permet[tait] pas de confirmer la nécessité de mettre en œuvre dans l’urgence les actions d’abattage envisagées », et « insist[ait] sur l’importance d’un temps scientifique avant la mise en œuvre de mesures de gestion ». La population des bouquetins du Bargy est encore peu connue, et les statistiques sérologiques disponibles sont très approximatives. C’est donc dans « un paysage de connaissances très incomplet » que la décision a été prise de tuer tous les individus de cinq ans et plus.
S’appuyant sur le rapport de l’ANSES, reflet d’une expertise scientifique indépendante et pluraliste, la commission faune du Conseil National de Protection de la Nature (CNPN) a rendu son avis le 11 septembre 2013. Elle « considère que si l’éradication du foyer de brucellose chez le bouquetin des Alpes dans le massif du Bargy s’avère indispensable, elle n’a nullement besoin d’être réalisée dans l’urgence. » Elle prend en compte « le fait que le risque de contamination tant pour l’Homme que pour les animaux domestiques [...] est extrêmement faible ». Demandé par le Préfet de Haute- Savoie, « l’abattage total et immédiat de la totalité des animaux appartenant à cette espèce sur le massif n’a pas été retenu (3 voix pour, 17 contre et 1 abstention) au profit d’un abattage partiel. » Concernant l’abattage partiel, la solution retenue par le CNPN est l’abattage, sur une durée de trois ans, des seuls animaux séropositifs.
Contrairement à la préconisation du CNPN, l’abattage ayant actuellement lieu dans le massif du Bargy ne vise pas les seuls bouquetins séropositifs (effectif estimé à 35% sur un échantillon de 54 animaux), mais les individus de cinq ans et plus (effectif estimé à 70%). En l’état actuel des connaissances, il existe donc, pour le CNPN, une solution plus
satisfaisante à la mesure ordonnée ; ce qui remet en cause, d’après l’article L. 411-2-4° du Code de l’Environnement, les dérogations accordées aux interdictions encadrant le statut de protection du Bouquetin des Alpes qui ne peuvent être délivrées que s’ « il n’existe pas d’autre solution satisfaisante ». La solution préconisée par le CNPN est d’autant plus pertinente qu’un nouveau test permettant une détection rapide sur le terrain est sur le point d’être utilisable.
Depuis octobre 2013, au moins 230 bouquetins ont été tués. Parmi les animaux abattus, beaucoup ne sont pas malades, et l’arrêté en vigueur ordonne la poursuite des tirs « à l’aveugle » jusqu’en octobre 2014, ce à quoi nous nous opposons énergiquement. Dans son avis du 21 janvier, « le Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel de Rhône-Alpes regrette très vivement que l’avis du CNPN, étayé scientifiquement, n’ait pas été suivi par les autorités compétentes » et « déplore que des mesures radicales aient été appliquées dans l’urgence, et qu’aucune analyse n’ait été pratiquée sur les animaux abattus. » Le vice-président de la commission faune du CNPN affirme qu’« ordre a été donné de la préfecture de ne pas effectuer de prélèvements à but scientifique sur les cadavres, obérant ainsi lourdement les études en cours ». A cet égard, la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) et la Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature (FRAPNA) ont exprimé leur « incompréhension » et leur « stupéfaction » devant ce qu’il convient de considérer comme une grave omission.
Compte tenu du statut national et européen de protection du Bouquetin des Alpes, et considérant la remise en cause, par les experts, de la pertinence de la situation d’urgence, nous sommes aujourd’hui 24 530 à vous demander « l’arrêt de l’abattage systématique des bouquetins du Bargy de plus de cinq ans », et l’abrogation de l’arrêté préfectoral n°2013274-0001 qui en découle. Nous sommes aujourd’hui 24 530 à exprimer notre « désaccord avec toute décision ultérieure d’abattage de bouquetins dont le statut sérologique est soit inconnu soit négatif à la brucellose ». Nous sommes aujourd’hui 24 530 à exprimer notre « attachement à la conservation du statut de protection des bouquetins, espèce interdite de chasse ». Désormais placés entre vos mains, nos espoirs sont soutenus par de nombreuses associations.
Nous avons l’honneur, Madame la Ministre de l’Ecologie, de solliciter de votre haute bienveillance une audience, et de vous prier d’agréer l’expression de notre très haute considération.
Pour les citoyens et les associations soutenant cette lettre,
Matthieu STELVIO, initiateur de la pétition « Stop à l’abattage des bouquetins du Bargy »