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thierry billet

Une conception républicaine du maintien de l’ordre ?

21 Novembre 2020 , Rédigé par Thierry BILLET

Editorial du « Monde. » Des mauvaises lois, l’on peut redouter les dangers dans le futur, proche ou lointain, qui suivra leur promulgation. Leurs funestes effets ne se manifestent que très rarement avant même leur adoption par le Parlement. C’est pourtant le cas de la proposition de loi pour une « sécurité globale » déposée par deux députés La République en marche (LRM), avec le soutien du gouvernement. L’examen de ce texte vient à peine de commencer à l’Assemblée nationale que, déjà, les dérives qu’il permet, les arrière-pensées qu’il contient, se sont manifestées à ciel ouvert, dans les paroles et dans les actes, dans les rues de Paris et les déclarations d’un ministre.

Beaucoup d’observateurs, et notamment nombre de sociétés de journalistes – dont celle du Monde –, avaient alerté, ces derniers jours, sur les risques de censure que comporte son article 24, qui impose le floutage de l’image des policiers et gendarmes dans le but d’empêcher leur « usage malveillant ». « Rédigée comme une réponse clientéliste à la revendication d’anonymat des syndicats de policiers, cette proposition de loi contrevient grossièrement à un droit démocratique », celui d’informer librement, écrivions-nous dans l’éditorial du 7 novembre.

De fait, tous ces dangers se sont révélés au grand jour au cours de la seule soirée du mardi 17 novembre. En quelques heures, à l’occasion d’une manifestation de protestation contre ce texte, des journalistes ont été intimidés verbalement, empêchés de faire leur travail, placés en garde à vue pour l’un d’entre eux. A ce laisser-aller policier, de très mauvais augure, se sont ajoutées les paroles du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui a formulé le souhait que les reporters se rapprochent désormais des autorités avant de couvrir une manifestation.

Offensive pernicieuse

A l’évidence, de l’affaire Benalla aux violences commises à l’encontre des « gilets jaunes », de la faiblesse camouflée en autoritarisme de Christophe Castaner aux démonstrations de force non maîtrisées de Gérald Darmanin, le pouvoir en place éprouve une difficulté majeure à se tenir à l’intérieur d’une conception républicaine du maintien de l’ordre, pourtant seul moyen de protéger les policiers contre les violences, réelles, auxquelles ils sont exposés.

A l’évidence, de la loi inutile contre les fausses nouvelles aux menaces de poursuites contre les sources de journalistes, en passant par les convocations et les gardes à vue de certains d’entre eux, les gouvernements mis en place par Emmanuel Macron, et le président lui-même, ont le plus grand mal à respecter la liberté d’informer. Mais autant le premier constat, d’une surenchère sécuritaire toujours plus décomplexée, pouvait être également tiré de quinquennats passés, autant le second rompt avec les usages des décennies précédentes.

Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, le travail de la presse fait l’objet de nombreuses remises en cause et d’attaques frontales. Cette offensive est d’autant plus pernicieuse qu’elle se cache souvent sous la bonne conscience d’élus, de ministres et de conseillers qui prétendent chercher à améliorer la « qualité » de l’information, en ces temps de défiance généralisée.

Or, il importe de le redire ici : la qualité de l’information ne s’accroîtra jamais si l’on restreint sa condition première, la liberté. La confiance des citoyens s’effritera encore davantage si les pouvoirs, quels qu’ils soient, se mêlent de la délimitation de notre profession, de la définition officielle de la vérité. La protection des journalistes ne servira à rien d’autre qu’à les discréditer si elle s’apparente à une forme d’encadrement et de contrôle de leur travail. Il ne saurait d’ailleurs être envisageable que des reporters du Monde se prêtent à la moindre démarche qui entraverait l’exercice libre de leur métier sur la voie publique.

Pour ces raisons, avant que l’irrémédiable ne soit voté, il apparaîtrait sage de suspendre l’examen de la proposition de loi pour une « sécurité globale », texte de circonstance, dont les multiples défauts, criants, exigent, à l’évidence, un vrai travail de concertation. Texte dont aucune réécriture ne peut plus justifier l’indéfendable article 24, dont la suppression pure et simple s’impose désormais.

Le Monde

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