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thierry billet

Irresponsabilité pénale ou politique ?

25 Avril 2021 , Rédigé par Thierry BILLET

Les décisions de justice récentes concernant l'irresponsabilité pénale du meurtrier de Mme HALIMI et la relaxe de quelques unes des personnes accusées d'avoir incendié une voiture de police ont donné lieu de la part des syndicats de policiers et de certains politiciens de droite et même du Président de la République à des commentaires qui montrent leur volontaire méconnaissance du code pénal. Je vous invite à lire pour notre culture juridique commune l'entretien du MONDE avec le Procureur général de la Cour de cassation pour restituer à ces décisions leur cadre juridique. Alors qu'il demande d'éviter de légiférer à nouveau sous le coup de l'émotion, le Garde des Sceaux annonce une nouvelle loi sur l'irresponsabilité pénale pour le mois de mai. Ainsi s'enfonce t'on dans une régression démocratique. Notre droit pénal était fondé sur le principe démocratique qu'il valait mieux un coupable en liberté qu'un innocent en prison, nous nous en éloignons de plus en plus. A tel point que Xavier BERTRAND qui veut être Président annonce qu'il veut une "peine de prison automatique" ; autrement dit l'absence d'un procès équitable au cours duquel le prévenu peut prouver qu'il est innocent. Un des acquittés de VIRY CHATILLON a passé 4 années en prison  alors qu'il était innocent et la surpopulation carcérale est une plaie qui ronge nos prisons et ruine les chances de réinsertion sociale des prisonniers. Le F-HAINE a petit à petit réussi à polluer toute la droite française sur ces questions de sécurité; faisant perdre la raison à toute une classe politique qui sombre dans la surenchère.

Ces deux décisions ont provoqué un vent de protestations d’une rare violence. Figure emblématique de la justice antiterroriste, François Molins, désormais procureur général près la Cour de cassation dénonce une « instrumentalisation des décisions de justice à des fins bien éloignées de l’intérêt général ».

Des personnalités affirment, après la décision dans l’affaire de Viry-Châtillon, que la justice ne protège pas assez les policiers, et dans celle de Sarah Halimi, qu’elle accorde un permis de tuer des juifs. Que pensez-vous de tels propos ?

Evidemment que la justice ne délivre aucun permis de tuer ! Et c’est aussi triste qu’alarmant de devoir le rappeler. Des propos très graves et très inquiétants sont tenus en ce moment. Venir dire que la Cour de cassation, par la décision rendue dans l’affaire du meurtre de Sarah Halimi, a donné un permis de tuer les juifs en France est insupportable et particulièrement outrageant pour les magistrats qui ont rendu cette décision.

Pourquoi la décision dans l’affaire Halimi aurait-elle été si mal comprise ?

Il ne vient à l’idée de personne de minimiser l’atrocité des faits commis. Je partage l’émotion que ce drame a pu susciter et comprends la colère légitime de la famille de la victime.

Il est néanmoins essentiel aujourd’hui d’essayer de faire comprendre pourquoi la décision rendue l’a été conformément à la règle de droit. L’Etat de droit a pour objet d’éviter l’arbitraire. Cela impose qu’une infraction soit prévue par la loi avant la commission du fait, tout comme la peine encourue. Il en est de même concernant les conditions de la responsabilité pénale. Ce principe a valeur constitutionnelle.

Aujourd’hui, l’article 122-1 du code pénal pose un principe clair : toute personne dont le discernement est aboli au moment de la commission des faits est irresponsable pénalement, quelle que soit la raison de l’abolition du discernement.

L’office du juge de cassation est de juger en droit. Si la Cour de cassation peut interpréter la loi dans le silence de celle-ci, elle ne peut le faire que dans des limites strictes qui ne peuvent jamais aller jusqu’à se substituer au législateur et modifier la norme. La loi pénale – tout particulièrement la question de la responsabilité pénale – ne peut s’interpréter que de façon très stricte afin d’éviter tout arbitraire ou tout risque de « gouvernement des juges » si décrié parfois…

L’émotion suscitée par cette décision révèle sans doute que la loi n’est pas adaptée et qu’il est des situations qui n’ont pas été prises en compte par le législateur. Le gouvernement a annoncé qu’il allait envisager une modification législative. Néanmoins il faudra veiller à ne pas légiférer dans l’urgence et sous le coup de l’émotion. La question de la responsabilité pénale est une question des plus délicates et il ne faut pas oublier que le fait de ne pas juger les « fous » a été un progrès majeur dans notre démocratie.

Comment un crime peut-il être à la fois considéré comme antisémite, mais perpétré par un auteur dont le discernement était aboli ?

Ce point est effectivement délicat à comprendre, mais il est explicable juridiquement et a d’ailleurs été parfaitement expliqué par l’avocate générale dans son avis. Il est public et j’invite chacun à prendre le temps de le lire.

Depuis une réforme de 2008, les juges se prononcent d’abord sur l’existence de l’infraction et son imputabilité à l’auteur, ce qui implique que l’infraction soit qualifiée au regard des éléments de contexte et donc des éventuelles circonstances aggravantes. Il s’agit en quelque sorte, pour les juges, de déterminer comment auraient été qualifiés les faits s’ils avaient été commis par une personne dont le discernement n’avait pas été aboli. Ensuite, une fois le crime exactement qualifié et imputé à l’auteur, les juges se prononcent, dans un second temps, sur la question de la responsabilité pénale de ce dernier.

En l’espèce, les faits qui ont pu être imputés à M. Kobili Traoré devaient recevoir la qualification de meurtre aggravé par son caractère antisémite, car de nombreux propos accompagnant les violences commises avaient un caractère antisémite. J’avais d’ailleurs demandé pendant plusieurs mois au juge d’instruction que cette circonstance aggravante soit retenue quand je dirigeais le parquet de Paris. Un des experts a ainsi indiqué « qu’un crime peut être délirant et antisémite » sans d’ailleurs qu’un antisémitisme antérieur à la commission des faits ait eu besoin d’être révélé.

Une fois ces faits qualifiés et imputés à M. Traoré, la chambre de l’instruction, au regard des expertises rendues concluant quasi unanimement à l’abolition du discernement, a retenu l’irresponsabilité pénale de l’auteur.

Je rappelle qu’avant cette réforme, le code pénal niait, en cas d’irresponsabilité pour cause d’abolition du discernement, l’existence même du crime ou du délit, alors que des faits avaient bien été commis. Ceci était tout à la fois insupportable pour les victimes et insatisfaisant pour l’auteur atteint de troubles mentaux auquel on ôtait la qualité de sujet.

Pourquoi la consommation de stupéfiants serait-elle une circonstance aggravante pour un délit routier et pas dans le cas de ce crime monstrueux ?

Il est vrai que le législateur n’a pas prévu cette circonstance aggravante pour le meurtre. Je ne suis pas en mesure de vous en donner les raisons, mais rien n’interdirait de le prévoir à l’avenir. En tout état de cause, le raisonnement de la Cour aurait été le même si l’infraction commise par M. Kobili Traoré, dont le discernement a été considéré comme aboli au moment des faits, avait été de celles pour lesquelles la consommation de drogue ou d’alcool est érigée en circonstance aggravante par le législateur.

Ce qu’il est en effet nécessaire de rappeler fermement, c’est que si la consommation de stupéfiants n’est pas une circonstance aggravante du meurtre, cela ne signifie en aucun cas qu’elle est une cause d’irresponsabilité pénale. Ce raccourci erroné, que j’ai malheureusement trop entendu ces derniers jours, doit impérativement être corrigé.

C’est l’abolition du discernement lors du passage à l’acte et elle seule, qui induit l’irresponsabilité pénale. Or, toute personne qui consomme de l’alcool ou du cannabis n’a pas une bouffée délirante et ne voit pas son discernement aboli.

Un des sept experts mandatés par la justice était en désaccord avec les six ayant conclu à l’abolition du discernement. Aurait-il fallu laisser une cour d’assises trancher ce débat ?

Il faut rappeler que la Cour de cassation ne peut pas se substituer à la chambre de l’instruction quant à l’appréciation et la portée à donner aux expertises. De plus, la loi prévoit que c’est à la chambre de l’instruction de statuer elle-même sur la responsabilité pénale ; aussi en cas de doutes ou de divergences entre experts, il n’est pas prévu que les juges doivent renvoyer la décision à la cour d’assises.

Il est également important de souligner que depuis 2008, la chambre de l’instruction qui se prononce sur la responsabilité pénale statue à l’issue d’une véritable audience contradictoire et publique. Les parties civiles, qui peuvent être présentes, sont entendues, leurs avocats font non seulement valoir leurs observations mais peuvent poser des questions aux experts, systématiquement entendus, et aux témoins qu’ils ont éventuellement fait citer. Si ces audiences ne remplacent pas le procès, elles marquent une avancée majeure de notre procédure.

Le recours de plus en plus fréquent aux experts psychiatres ne porte-t-il pas le risque d’une déresponsabilisation du juge ?

Je ne crois pas que le juge se déresponsabilise en s’y référant, et je dis bien se référer et pas s’en remettre, car les juges sont libres de suivre ou de ne pas suivre les conclusions d’une expertise. Néanmoins chacun son métier et ses compétences, et il est des domaines, comme la psychiatrie, bien trop techniques et complexes pour que le juge puisse se passer de l’éclairage des experts.

Aussi, quelles que soient les évolutions législatives qui interviendraient dans le domaine de la responsabilité pénale, il faudra toujours recourir à des experts afin de savoir quelle est la part de la consommation de psychotropes, de drogue ou d’alcool, et la part d’une éventuelle maladie psychiatrique dans la constatation du trouble du discernement.

Que vous inspirent ces manifestations de policiers devant des tribunaux pour protester contre la décision rendue dans l’affaire de Viry-Châtillon (Essonne) ?

Je peux toujours comprendre qu’une décision de justice ne puisse satisfaire toutes les parties. C’est même inévitable et l’institution judiciaire doit certainement se questionner toujours un peu plus, sur la façon dont elle peut davantage expliquer ses décisions afin qu’elles soient comprises et ainsi mieux acceptées.

Néanmoins, je m’inquiète de ce que les personnes mécontentes du sens d’une décision de justice se sentent désormais autorisées à y porter les critiques les plus virulentes, non seulement par des prises de parole volontairement outrancières, voire biaisées, mais désormais, également, par des appels à manifester.

Notre démocratie est fragile et il est nécessaire d’accepter le fonctionnement des institutions et surtout de les respecter. C’est un jeu dangereux que de prendre le risque de les déstabiliser. Un tel respect des institutions me paraît d’autant plus essentiel de la part de fonctionnaires de police qui appartiennent eux-mêmes à une institution qui a pour mission d’exercer l’autorité et dont on regrette qu’elle soit si souvent malmenée et mise en cause.

Le drame intervenu hier à Rambouillet démontre, hélas, une fois encore, que les fonctionnaires de police sont la cible d’actes criminels intolérables et j’adresse toutes mes pensées à la famille et aux proches de la victime.

Certains avocats jettent de l’huile sur le feu en tronquant les débats auxquels ils ont assisté ou en dénaturant le sens d’une décision de justice. Les juges devraient-ils mieux expliquer leurs décisions ?

On ne peut que regretter que certains instrumentalisent les décisions de justice à des fins qui sont bien éloignées de l’intérêt général, en tronquant les débats – notamment quand ils se déroulent en publicité restreinte – par la diffusion, à dessein, de messages erronés. Ceci est choquant et inadmissible !

Cela participe de la déstabilisation de l’institution judiciaire. Or, plus que jamais, nous avons besoin d’apaiser le débat et de faire comprendre les décisions.

En matière de communication, je crois pouvoir dire que la justice a évolué, notamment par le rôle que se sont progressivement approprié les procureurs de la République en communiquant plus souvent désormais sur le déroulé des enquêtes.

Pour les décisions de justice, l’exigence toujours plus forte de motivation des décisions participe également de cet effort de communication et de transparence. On ne peut que regretter qu’elles ne fassent plus à elles seules autorité.

Mais l’actualité nous montre incontestablement que cet effort de transparence et de clarté n’est pas encore suffisant. A l’heure où tout se commente en temps réel sur les réseaux sociaux et où il est impossible de répondre à chacune des contre-vérités diffusées de façon massive, il y a sans aucun doute, pour la justice, quelque chose de nouveau à réfléchir et inventer.

La justice est-elle laxiste ? Comment répondre à ce sentiment des Français ?

Rien ne permet d’affirmer de façon générale et sans nuance que la justice serait laxiste. Cela n’a pas de sens et ne correspond en rien aux décisions rendues chaque jour.

La surpopulation carcérale, que l’on regrette à juste titre au regard des conditions de détention qu’elle induit, n’illustre-t-elle pas au contraire que la justice fait plutôt preuve d’une certaine sévérité ? La France était d’ailleurs récemment pointée comme l’un des rares pays d’Europe dans lequel le nombre de peines de prison ferme ne diminue pasNéanmoins, il faut tenir compte de ce sentiment pour, sans doute, améliorer encore notre façon de communiquer sur les décisions rendues. Bientôt un certain nombre d’audiences seront peut-être filmées, ce qui participera, espérons-le, à une meilleure compréhension de ce qui se passe dans les tribunaux et donnera la mesure de la complexité des situations qui y sont jugées.

 

 

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