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thierry billet

c'est la faute aux écolos !

31 Décembre 2022 , Rédigé par Thierry BILLET

Pour clôturer l'année, rien de mieux que de laisser la parole à Stéphane FOUCART, le journaliste en charge de l'environnement au MONDE. Dans une chronique du 30 décembre, il commente l'antienne de 2022 "c'est la faute aux écolos". Rien de mieux en ce début d'année que de soutenir cette presse exigeante, du MONDE à VERT en passant par REPORTERRE ou LES JOURS qui porte une volonté d'indépendance et une vraie pratique de recul critique à l'encontre des chaînes d'information en continu. Bonne année 2023, et d'abord la parole à Stéphane FOUCART.

En 2022, les effets du réchauffement et la limitation d’accès aux ressources se sont fait sentir plus cruellement que jamais. Des effets dont les écologistes ont souvent été, paradoxalement, tenus pour responsables, observe Stéphane Foucart, journaliste au « Monde », dans sa chronique.

La culpabilisation des mouvements écologistes est un tropisme habituel de la conversation publique, et la figure de style préférée des propagandistes du laisser-faire. Tout au long de l’année qui s’achève, cette tendance a pris des proportions extravagantes, dopée par l’importance grandissante des réseaux sociaux et des télévisions « tout info » dans l’animation du débat démocratique – pour peu qu’une telle expression ait encore un sens. « C’est la faute aux écolos ! » : c’est l’élément de langage de l’année.

Si cette ritournelle est revenue si souvent en 2022, c’est précisément parce que l’année écoulée a été marquée de manière spectaculaire par les dégâts liés à la dégradation du climat et de l’environnement, amplifiés par la guerre en Ukraine. En somme, plus le déroulement des événements donne rétrospectivement raison aux environnementalistes, plus leurs adversaires doivent les stigmatiser pour leur faire pièce.

C’est un cas classique d’inversion orwellienne. « La guerre, c’est la paix », « l’esclavage, c’est la liberté » et les effets de la dérive climatique, « c’est la faute aux écolos ».

Ainsi des incendies qui ont ravagé, tout l’été, les forêts françaises : à la Teste-de-Buch (Gironde), « les écologistes »auraient combattu avec succès, depuis deux ans, un plan d’aménagement de la forêt usagère destiné à la rendre plus facilement accessible aux pompiers. Cette fausse information, lancée le 15 juillet sur Twitter par un anonyme, puis aussitôt reprise par un célèbre publicitaire et animateur de la chaîne M6, a suffi à nourrir la controverse. Une semaine durant, elle a généré une quantité considérable de commentaires sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision, avant que plusieurs titres de presse, en particulier 20 Minutes, n’en démontrent le caractère mensonger.

Par effet de glissement et de généralisation s’imprime ainsi dans l’opinion l’idée que les politiques environnementales sont en réalité… dangereuses pour l’environnement. Et tout le temps passé à commenter cette information fausse, puis à la démentir, a été autant de temps en moins pour discuter les causes premières des incendies monstres de cet été : le réchauffement climatique, la généralisation des monocultures de résineux fortement inflammables, etc.

Même narratif à propos du naufrage du parc nucléaire français, dont la production a été historiquement basse cette année : si les centrales sont en carafe, ce serait à cause de l’hostilité historique des écologistes pour l’atome. On ne sait pourtant trop à quel moment « les écologistes » ont pu être en position d’entraver sérieusement le développement de l’industrie nucléaire. Ni comment ils auraient pu jouer un rôle décisif dans les problèmes de corrosion qui ont entraîné des arrêts de réacteurs tout au long de l’année.

Culpabilisation abusive

On ne voit pas plus par quelle diablerie ils pourraient être responsables des difficultés d’EDF à construire ses réacteurs de nouvelle génération – l’EPR de Flamanville (Manche) entrera en production avec douze ans de retard et un surcoût de 10 milliards d’euros. L’absurdité d’un argumentaire semble décidément n’avoir aucun effet sur son taux de pénétration dans le débat public.

Plus tôt dans l’année, avant que l’eau ne manque, que les forêts ne brûlent et que les centrales nucléaires ne soient arrêtées en nombre, c’est l’effondrement de l’économie du Sri Lanka qui a été attribué à des lubies écologistes. Le blocage des importations d’intrants agricoles sur la grande île, décrété en 2021, a certes plongé le pays dans le désarroi. Mais la mesure, prise de manière abrupte, sans plan de transition, était en réalité le fait d’un gouvernement aux abois, cherchant à gérer l’effondrement de ses réserves de change, dû à la pandémie de Covid-19 et à l’interruption du tourisme, première source de devises du pays. D’ailleurs, outre les intrants agricoles, ce sont aussi certaines denrées alimentaires, ou encore les automobiles, qui ont été momentanément interdites d’importation.

Présentée à tort comme le résultat d’un mouvement d’humeur d’irresponsables « khmers verts », la situation au Sri Lanka a généré des torrents de commentaires, brodant sur le thème de la culpabilité écologiste. Tout cela a sans doute eu un impact sur le torpillage du Green Deal européen, dont un des objectifs est, précisément, de réduire l’usage des intrants de synthèse en Europe.

La culpabilisation abusive des environnementalistes est un trope néolibéral ancien. L’interdiction du DDT, dans les années 1970, a par exemple été deux décennies plus tard rendue responsable d’une résurgence du paludisme, causant des centaines de milliers de morts en Afrique et en Asie.

Mais là encore, l’acte d’accusation est fondé sur une tromperie, le DDT n’ayant jamais été interdit dans la lutte contre les moustiques vecteurs de maladies. Au contraire : si le DDT a progressivement été abandonné dans la lutte contre le paludisme, c’est bien souvent parce qu’il avait été trop utilisé, induisant l’apparition de résistances chez les insectes !

Dans Les Marchands de doute (Le Pommier, 2021), les historiens Erik Conway et Naomi Oreskes ont montré que cet argument avait été forgé de toutes pièces par des think tanks libertariens et néoconservateurs américains. Il circule toujours, diffusé en France par des milieux se réclamant de la défense de la science, repris dans des ouvrages d’essayistes conservateurs, étayant l’idée d’un « précautionnisme » écologiste mortifère.

Les mêmes ont aussi tenté de faire accroire qu’en 2010, en Haïti, l’épidémie de choléra avait été favorisée par la crainte d’utiliser des désinfectants chlorés. Là encore, une fausse information qui, avant d’être démentie, a poussé l’idée que, même les maladies infectieuses, « c’est la faute aux écolos » !

Stéphane Foucart

 

 

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