"Les JOURS" réalisent une série sur le succès des "SUV", ces grosses voitures qui font rêver 40% des acheteurs de voitures en FRANCE. Voici le point de vue de Matthieu ORPHELIN où j'apprends que la publicité coûte 1 500 euros par voiture neuve; soit 3,5 milliards d'euros par an. Lecture conseillée...
Pour le député Matthieu Orphelin, la lutte contre l’ultra-polluant SUV passe par l’encadrement de la publicité automobile.
Épisode n° 7
Faut-il une réponse politique au succès encombrant des SUV, qui représentent désormais plus de 40 % des immatriculations de véhicules neufs en France ? À ce jour, les multiples questions posées par ce type de véhicules très à la mode et très rentables n’ont que peu ému les parlementaires. Une voiture de 2,5 tonnes qui ne transporte la plupart du temps qu’une seule personne a-t-elle sa place en ville comme à la campagne ? Peut-on supporter, alors que la crise climatique s’amplifie plus vite que le pire des scénarios ne l’avait imaginé, que les SUV, parce qu’ils sont plus lourds et moins aérodynamiques, surconsomment et polluent davantage que des berlines équivalentes ?
Matthieu Orphelin, député du Maine-et-Loire, élu sous l’étiquette La République en marche en 2017 avant de quitter le parti présidentiel en février 2019 pour protester contre la mollesse du gouvernement sur les questions environnementales, est l’un des rares députés mobilisés sur ces questions. Ancien directeur de la recherche et de la prospective de l’Ademe – l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie – puis porte-parole de la Fondation pour la nature et l’homme de Nicolas Hulot, il demande notamment un encadrement de la publicité automobile.
Vous avez déposé, avec Delphine Batho, un amendement à la loi d’orientation des mobilités (LOM) qui proposait d’interdire la publicité pour les véhicules les plus polluants. Il a été rejeté par le gouvernement, mais ce combat doit-il se poursuivre ?
Ce débat s’est embrasé très vite. La publicité automobile, c’est 1 500 euros par voiture neuve vendue en France, et elle est aujourd’hui principalement centrée sur les SUV ! Il ne faut pas s’étonner, après, que les gens achètent ces voitures trop lourdes et trop polluantes. Cette place des SUV dans le modèle économique des constructeurs pose question. Mon amendement à la loi d’orientation des mobilités était volontairement un peu dur, mais il faut tracer un chemin. Puisque le gouvernement compte interdire les véhicules thermiques en 2040, quel chemin trace-t-on, aussi bien en ce qui concerne le modèle économique des constructeurs qu’en ce qui concerne la publicité pour ces véhicules polluants ? Il faut tout remettre à plat et je compte porter ce sujet lors du projet de loi de finances, notamment pour mieux prendre en compte le poids du véhicule dans le calcul du bonus-malus. Il faut qu’on arrive à sortir du mouvement actuel autour des SUV. Avoir quelque chose qui remarche.
Ça passera donc par une modernisation de l’encadrement de la publicité ?
On claque 3,5 milliards d’euros par an pour expliquer aux gens que le SUV est le symbole de la liberté et du plaisir, c’est un problème ! Personne ne peut lutter contre ces moyens. Je compte donc déposer une proposition de loi pour un meilleur encadrement de la publicité, sur la question des émissions de CO2 notamment. Il y a un certain nombre de règles, mais elles ne sont absolument pas à la hauteur et c’est ça que je vais porter à la fin de l’année. Puisque les acteurs ont du mal à se réguler, il faudra en passer par la loi. C’est une première question, mais il faut aussi se demander comment on arrive à faire baisser la pub en général. Un monde avec moins de pub est un monde avec un peu plus de bonheur.
Le gouvernement actuel est-il passé à côté de ces enjeux dans la loi d’orientation des mobilités ?
Vous savez bien que si je suis parti de la majorité, ce n’était pas par plaisir. Les choses n’avancent pas assez. Mais je ne veux surtout pas dire qu’il y a rien dans la LOM. Il y a des choses pour diminuer la place de la voiture, pour accélérer la modernisation du train du quotidien, pousser le vélo, etc. Tout ça, c’est important. Maintenant, le gros angle mort, c’est de repenser les besoins de mobilités dans leur globalité.
Pour cela, j’ai par exemple porté des choses sur le télétravail dans la fonction publique. Il y a des freins partout aujourd’hui, donc je voulais en faire un point de négociation obligatoire entre les syndicats et les administrations. Quel intérêt d’envoyer des milliers de fonctionnaires sur la route ou dans les transports un jour de canicule ? En zone rurale, il faut aussi travailler sur des lieux partagés de télétravail. Mais ça ne s’arrête pas au travail, il faut une réflexion sur l’accès aux loisirs, aux services de proximité. Il faut aussi intervenir sur l’étalement urbain et l’artificialisation des sols qui continue. Aujourd’hui, une commune qui va bien, c’est une commune qui s’étend, qui construit des lotissements ! En France métropolitaine, on artificialise ainsi 250 hectares par jour, majoritairement pour des lotissements et des zones d’activité. C’est sur tout cela qu’il faudrait une réflexion hyper forte, mais elle n’est pas là pour l’instant.
Est-ce que les constructeurs français et européens sont prêts à répondre aux nouvelles normes sur les émissions polluantes qui s’imposeront à eux en 2021 dans l’Union ?
Tout se joue là, en ce moment. Ils ont pris des engagements hyper forts vis-à-vis de l’Union européenne. Or, c’est dans un an et demi et on n’y est pas du tout ! Si on continue comme aujourd’hui, les constructeurs européens vont être exposés à de très fortes amendes. C’est un immense sujet, sur lequel je vais proposer aux députés de convoquer les constructeurs dans les prochains moins. Qu’on les auditionne pour leur demander quelle est leur stratégie. Il faut aider l’industrie automobile, qui est ultra-dépendante du pétrole. Elle s’est construite sur le thermique et uniquement sur le thermique pendant des dizaines d’années, avec en plus un problème très français qui est que nous avons eu une stratégie mono-directionnelle en faveur du diesel, aidée par l’État.
La réponse des constructeurs à toute discussion sur leur stratégie, c’est de mettre sur la table les 13 millions d’emplois de l’industrie automobile en Europe. Comment prendre également cette dimension sociale en compte ?
Les constructeurs d’automobiles ont leur avenir entre leurs mains. S’engager plus résolument dans la transition écologique sera leur meilleur atout pour préserver durablement les emplois. À eux de choisir ce virage.
Pour répondre aux nouvelles normes européennes de 2021, tous les constructeurs misent sur l’électrification du parc automobile. Est-elle une solution miracle pour réduire la place des transports dans les émissions nocives pour le climat ?
C’est tout sauf la solution miracle. Ce qu’il faut, c’est moins de déplacements en voiture individuelle, tout simplement. C’est un vrai sujet, mais on n’avance pas sur cela. Pour ça, il faut proposer des mobilités alternatives à la voiture, faire passer de la voiture à d’autres modes : les transports actifs comme le vélo, les transports en commun, des nouveaux services de mobilité partagée. Et mieux remplir les voitures ! Aucune solution n’a de sens si on reste à 1,1 personne par voiture, comme c’est le cas aujourd’hui en France. Il faut qu’elles transportent plus de monde, mais il faut aussi qu’elles soient plus adaptées aux modes de déplacement d’aujourd’hui. Ça veut dire questionner leur poids, leur puissance… Aucun déplacement ne nécessite une voiture qui roule à 200 km/h.
Une fois qu’on a fait tout ça, et seulement après, la petite voiture sobre qui reste est vraiment utile. Elle peut alors exploiter une palette de solutions : l’électrique, l’hybride, l’hydrogène vert… C’est là que l’électrique peut aider. Sans l’électricité, l’Ademe et d’autres rapports l’ont montré, on n’arrivera pas aux objectifs de neutralité carbone en 2040 ou 2050.
L’impact de cette électrification sur la production énergétique de la France, très dépendante du nucléaire, a-t-il été assez mesuré ?
Il n’y aura pas de relance du nucléaire à cause de la demande des voitures électriques, pas pour l’instant. Et on en est loin. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Commission de régulation de l’énergie. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire attention à la consommation ! Mais il faut dire qu’il y a de vrais avantages dans le switch des véhicules aux énergies propres : la diminution de la pollution de l’air, des polluants locaux… C’est l’avenir, et il se joue dans les vingt prochaines années.
Peut-on changer de motorisation sans changer en profondeur la place de la voiture dans la société française et européenne ?
J’ai toujours considéré ma voiture comme un boulet, je n’ai jamais eu d’attachement pour elle. Mais la plupart des Français n’ont pas eu d’autre choix. C’est ce qu’il faut changer et c’est le plus difficile.