« C'est Tanguy qui m'en
a parlé la première fois.
Il est tombé amoureux de
l'atelier de menuiserie de Lucien et a décidé de poser ses valises à Cauquenes, à trois
heures au sud de Santiago du Chili, pour travailler avec lui.
Trente ans les séparent
et Tanguy est intarissable au sujet de Lucien, ce savoyard, un peu vieil ours, qui a
"fuit l'école et le père fouettard" à bord d'un bateau construit de ses mains dans ses
montagnes, et qui a appris à naviguer en traversant les océans pour arriver au Chili en
pleine dictature. Pendant plus de vingt ans, Lucien a sculpté de petits pingouins ou
des tabourets en forme de queues de baleine. Depuis sa rencontre avec Tanguy, il s’est
remis à construire des bateaux, toujours avec sa technique du laminé-collé.
On dit même qu’il aurait
réalisé un sous-marin totalement fonctionnel !
Je me devais d'aller le
rencontrer…
Tanguy ne pouvait
malheureusement pas être là le jour où je me suis décidé à lui rendre visite.
“Qu'est-ce que je peux lui apporter qui lui ferait plaisir ?”, ai-je demandé inquiet de
me retrouver seul face à un personnage au caractère bien trempé qui, mal luné ce
jour-là, pouvait me fermer la porte au nez.
Tanguy me dit : “C'est
très simple, si tu arrives tôt le matin, propose-lui des sardines. Il adore ça au petit
déjeuner !”
Évidemment, mon bus me
fait arriver bien plus tard que prévu ; c'est en plein boulot, les pieds dans la
sciure, que je le surprend, sans trop savoir quoi faire de mes sardines.
Entre deux découpes
stridentes, je lui demande comment il a vécu le tremblement de terre qui a secoué
une bonne partie du pays en 2010. Il me répond simplement : "Ça dure moins longtemps
qu'une tempête en mer."
La conversation était
engagée. »