L'omerta nucléaire
13 Mars 2014 , Rédigé par Thierry BILLET
Par Corinne LEPAGE
Il faut un anniversaire pour se souvenir d'une catastrophe nucléaire. Aujourd'hui, ce sont les 3 ans du séisme de Tōhoku et on ne peut s'empêcher de penser en premier lieu aux près de 22.000 morts du tremblement de terre et du tsunami qui s'en est suivi. On pense aussi aux employés des 3 réacteurs de la centrale Daïchi qui ont dû affronter ce qu'ils devaient probablement considérer comme impossible; ils avaient leurs familles qui habitaient à côté de la centrale au moment où ils ont fait le plus gros relâchage de vapeur radioactive dans l'environnement.
Et enfin, et surtout, nous pensons à ceux qui vivent aujourd'hui en zone contaminée, à ceux qui ont tout perdu dans la zone d'exclusion, à toutes les futures victimes à naître de cette catastrophe nucléaire - et non catastrophe naturelle comme certains ont voulu nous le vendre.
Il existe un précédent de catastrophe nucléaire. C'était Tchernobyl en Ukraine et cette catastrophe est toujours en cours puisque la population de 3 districts est en train de disparaitre. Il n'existe pas de mots pour qualifier cette situation. Cela n'a pas de nom et parait s'apparenter à un génocide sans vraiment en être un. Peut-être le mot "aeticide" conviendrait pour parler de générations sacrifiées, entre le fait de ne pas naître ou le fait de vivre dans ces conditions. Dans la crise ukrainienne, le mot Tchernobyl n'est jamais apparu. Les maigres indemnités touchées par les victimes ne couvrent bien entendu pas l'immense gouffre financier d'une terre détruite par une catastrophe de ce genre.
La crise économique que va traverser l'Ukraine va probablement conduire les victimes de Tchernobyl à être une nouvelle fois des victimes colatérales. Le départ de la Crimée riche ne permettra plus une solidarité nécessaire pour la survie de ces populations, comme pour l'entretien de ce site sur lequel 3000 personnes travaillent tous les jours à dans le but d'éviter une nouvelle catastrophe nucléaire (entretien de la zone d'exclusion, sarcophage, risque de rencontre du chorum et de la nappe phréatique...). Il n'est pas étonnant de ne pas voir la Russie se battre pour cette zone frontalière de son allié totalitaire biélorusse.
Dans le cas du Japon, entre les vies brisées, les terres perdues à la culture, la mer et les ports contaminés, on voit très bien une nouvelle fois qu'aucune société ne peut absorber le choc d'une catastrophe nucléaire. C'est une collectivité qui assume le risque et l'assurance de la catastrophe car aucun assureur ou réassureur n'a envie ou est en capacité de l'assumer. En cela, le nucléaire est l'énergie la plus subventionnée au monde. Une éolienne doit assumer sa déconstruction et le risque de chute, le nucléaire, lui, provisionne un faible montant pour son démantèlement et ne s'assure pas.
Le temps où on ne parlait que de risque pour le nucléaire est révolu. Le front économique que je défends depuis longtemps commence à entrer dans le débat même si certains continuent à le nier. Le rapport de la Cour des comptes est un bon début mais reste encore très loin de la réalité, et fait notamment l'impasse sur les questions liées à l'assurance. Les 7 plaies d'Egypte ne sont rien à côté d'une catastrophe nucléaire, pourtant nous continuons à subventionner allégrement sur fonds publics la R&D du nucléaire. Pourquoi cette filière ne financerait-elle pas elle même cette R&D si elle croit vraiment en son avenir. Combien de TMI, Tchernobyl et Fukushima pour réellement se poser des questions sur l'avenir de cette filière. Combien de filière propre, de superphénix et autres mythes faudra-t-il encore entendre pour se poser les bonnes questions.
Le prix du nucléaire flambe, sans subventions et prix artificiellement bas, cette technologie devrait être morte. Selon les chiffres de l'ADEME en 2011, le poids des dépenses consacrées à l'énergie représente 35% en France, 20% en Allemagne et 15% en Italie, du budget consacré au logement. On est très loin du mythe rabaché de l'avantage des français dans leur mix énergétique. On nous répondra que le corollaire de l'arrêt du nucléaire, c'est le charbon. C'est est en partie le cas en Allemagne sauf que ceci est vrai du seul fait de l'effondrement du cours du charbon, ce qui répond à une logique économique des opérateurs et non à une logique planificatrice du gouvernement.
Je suis allée au Japon, dans la préfecture de Fukushima et sur le site de la centrale nucléaire de Tchernobyl. J'ai rencontré les gens qui y vivent. Tous les ans rappelons-nous ce souvenir et profitons-en pour dire "plus jamais ça" comme nous avions dit "plus jamais ça" en 1945 pour d'autres raisons.
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