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La CFDT et Macron, le choc des deux réformismes

24 Décembre 2019 , Rédigé par Thierry BILLET

Depuis 1983, le droit du travail a marqué ma vie. La CFDT a été mon syndicat pendant de longues années puis la cliente de mon cabinet d'avocats dès 1992 pour défendre le droit syndical. C'est dire si cette organisation me tient à coeur et combien la stratégie du gouvernement à son égard sur les retraites me surprend mais s'explique par des divergences de fond : "la CFDT prône surtout l’affirmation de la société civile face au politique, et l’autonomie des partenaires sociaux face à l’Etat. Il s’agit là de l’un des clivages majeurs dans les débats du moment entre le président et le syndicat." Voici une analyse fort pertinente de Guy GROUX dans LE MONDE.

La CFDT et Macron, le choc des deux réformismes

Avant d’entamer un nouveau cycle d’échanges avec les partenaires sociaux, le premier ministre, Edouard Philippe, a évoqué, dans son discours du mercredi 11 décembre sur le régime universel des retraites, la question de l’âge pivot, ne tenant ainsi aucun compte des exigences de la CFDT dont l’adhésion au principe de la réforme était pourtant quasiment acquise.
Il ne s’agit pas d’un incident de parcours. Quelles qu’en soient les suites, cet épisode reflète les rapports ambigus tissés par l’exécutif, et surtout par Emmanuel Macron, avec la première organisation syndicale française. Certes, l’un et l’autre se veulent résolument réformistes, mais derrière les mots se cachent de profonds clivages quant au rôle des syndicats dans les mutations de la société française.
Pour Emmanuel Macron, la place des syndicats, c’est d’abord dans l’entreprise (et au mieux, la gestion conventionnelle des professions). Le président de la République contredit ainsi ce qui constitue l’un des traits profonds voire historiques de l’identité de la CFDT. Certes pour celle-ci, l’entreprise est à l’évidence un lieu privilégié de l’action syndicale mais, dans le même temps, elle revendique un rôle beaucoup plus sociétal : elle se veut porteuse de propositions concernant l’ensemble de la société et des champs aussi divers que le modèle de développement économique, la création de solidarités qui dépassent les corporatismes d’hier, le partage du pouvoir dans l’entreprise.
En mars, la CFDT a produit avec la Fondation Nicolas Hulot, la Fondation Abbé Pierre et ATD-Quart Monde, un manifeste qui exige de « changer de modèle de développement » et qui, face au réchauffement climatique, met la question sociale et écologique au cœur de la société. On retrouve ici le ton de la CFDT des années 1970, qui dénonçait déjà les « dégâts du progrès », l’idéologie productiviste et les risques liés à l’industrie nucléaire.
Le soutien de la CFDT à la réforme actuelle des retraites fut a priori évident, et pour cause. Bien avant l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, elle revendiquait, lors d’un congrès tenu à Tours en 2010, la création d’un régime universel par points, à ses yeux plus équitable. On retrouve là le principe des « nouvelles solidarités » que la CFDT mit en avant dès les années 1980 dans une France touchée par des exclusions et des précarités sociales massives.
Face à une protection sociale et une Assurance-maladie financées par les seuls revenus du travail, il s’agissait de faire appel à d’autres sources de revenus liés au capital ou au patrimoine, tout en brisant les séparations de statut entre secteurs privé et public, voire entre activités salariées ou non. Outre ses positions en faveur de retraites plus équitables, c’est dans ce cadre que se sont développées les luttes de la CFDT en faveur de la CSG, de la CMU ou du RMI.

Installer un réel contre-pouvoir

A l’heure où beaucoup estiment que la politique de Macron met en cause le paritarisme, la CFDT s’attache à avancer des revendications qui mettent en cause l’exercice traditionnel du pouvoir dans l’entreprise. Dès 1968, l’institution des sections syndicales d’entreprise (SSE) est due pour l’essentiel à une CFDT soucieuse d’installer un réel contre-pouvoir face au pouvoir patronal. En parallèle, le syndicat affirmait, non sans ambiguïtés d’ailleurs, une démarche autogestionnaire aux accents utopiques. Aujourd’hui, les revendications de pouvoir de la CFDT se font sur un mode beaucoup plus pragmatique : face aux actionnaires, il s’agit d’imposer dans les conseils d’administration une codétermination et de redéfinir les rapports de pouvoir entre travail et capital.
Pour la CFDT, les représentants des salariés jouent un rôle-clé pour la prise en compte du capital humain dans les stratégies d’entreprise, mais aussi pour la pérennité de l’entreprise et donc de l’emploi, car n’étant pas « guidés par la recherche de l’intérêt à court terme [ces représentants permettent] un rééquilibrage de la gouvernance au profit des intérêts de long terme », selon un texte de 2017. C’est en ce sens qu’elle revendique désormais jusqu’à 30 % des sièges dans les CA des entreprises de plus de 1 000 salariés et 50 % dans celles de plus de 5 000.
A ces enjeux écologiques, de solidarité, et de pouvoir dans l’entreprise, s’agrège enfin une conception particulière de l’organisation de la société. Depuis la fin des années 1970, la CFDT place la négociation collective et donc les relations contractuelles au cœur des régulations dans l’entreprise, mais aussi dans la société. Pour elle, il s’agit d’affirmer l’importance voire l’autonomie du contrat à l’égard du politique et de la loi. Un modèle de société qui, bien que n’ayant jamais été théorisé comme tel par la CFDT, peut être qualifié de « société contractuelle ».
Certes, devant le Congrès réunissant députés et sénateurs à Versailles en juillet 2017, Emmanuel Macron a évoqué l’institution d’un nouveau modèle politique, une « République contractuelle ». Mais ces propos masquent mal les divergences de fond avec la centrale de Belleville. Le président propose une conception hybride, celle d’un libéralisme à la fois économique et culturel, mais toujours soumis à une vision quasiment gaullienne de l’autorité de l’Etat sur les intérêts particuliers, dont ceux représentés par les syndicats. Ce « réformisme d’Etat » affirmé avec force s’oppose au réformisme qui est à la source de la culture politique, historique et sociale de la CFDT, que beaucoup rapportent au modèle social-démocrate et syndical d’Europe du Nord.
Mais la comparaison est trompeuse au moins sur un point. Le modèle social-démocrate européen implique souvent des liens puissants entre syndicats et partis socialistes, ou des rapports privilégiés entre Etat, groupes de pression et syndicats. Sans nier l’importance et la nécessité de la loi, la CFDT prône surtout l’affirmation de la société civile face au politique, et l’autonomie des partenaires sociaux face à l’Etat. Il s’agit là de l’un des clivages majeurs dans les débats du moment entre le président et le syndicat.

Guy Groux est sociologue, Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)
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