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thierry billet

ANTICOR, encore

4 Août 2021 , Rédigé par Thierry BILLET

Certains responsables politiques ont raconté tout et n'importe quoi à propos de la mise en examen d'Eric DUPONT-MORETTI. La présidente d'ANTICOR rappelle l'état du Droit en la matière et la nécessité de supprimer la Cour de Justice de la République.

Le 16 juillet dernier, le Ministre de la Justice a été mis en examen. C'est un tremblement de terre : dorénavant, c'est un Ministre dont des juges indépendants ont estimé qu'il avait peut-être commis une infraction qui va définir la politique pénale de la Nation et demander aux procureurs de France de la mettre en œuvre. 

Dans cette affaire, de nombreuses contre-vérités ont été véhiculées par le monde politique et dans la presse.

Il a par exemple été dit que cette affaire est le fait de quelques magistrats syndiqués, qui veulent faire tomber leur ministre. Peu de médias ont retenu que cette affaire a en réalité été initiée par Anticor, qui a porté plainte le 6 octobre 2020, plus de deux mois avant les syndicats de magistrats.

Ensuite, l'idée que ce sont ces syndicats de magistrats qui ont mis en examen le ministre a inondé les réseaux sociaux. Or, c'est la Cour de Justice qui a mis en examen M. Dupond Moretti. La Cour de Justice est une juridiction d'exception exclusivement chargée de juger les membres du gouvernement. Son existence même est une anomalie démocratique car elle met en péril le principe constitutionnel d'égalité devant la loi.

En revanche, il est faux de considérer, à ce stade de la procédure, que la Cour de Justice est une juridiction politique. Sous couvert d'une complexité exacerbée, personne n'a pris le temps d'en expliquer le fonctionnement.

Nous prenons le temps de cette mise au point, car elle est fondamentale. 

La Cour de Justice compte trois formations distinctes :

- La Commission des requêtes, qui juge de la recevabilité d'une plainte : elle est composée de trois juges de la Cour de cassation, la juridiction suprême de l'ordre judiciaire, deux juges du Conseil d'État, juridiction suprême de l'ordre administratif et de deux magistrats de la Cour des comptes, juridiction à la tête du contentieux financier. Ce sont donc des juges indépendants, qui en janvier 2020, ont considéré que la plainte d'Anticor était recevable et devait être instruite. Ils ont donc renvoyé le dossier au procureur de la République près la Cour de cassation, M. Mollins, qui a, par un réquisitoire circonstancié, saisit la commission d'instruction de la Cour de Justice ;

- La Commission d'instruction, qui auditionne les parties prenantes, m'a auditionnée, en qualité de présidente de l'association, durant plus de quatre heures et a auditionné les dirigeants des syndicats de magistrats, le Premier ministre et le Garde des Sceaux. Cette commission est composée de trois autres juges de la Cour de cassation, qui sont des juges dont l'indépendance est protégée par la Constitution. Ce sont ces trois juges qui ont décidé de la mise en examen du Ministre de la Justice. Cela signifie qu'ils ont considéré que des indices graves ou concordants laissaient penser que le Ministre a commis l'infraction pénale de prise illégale d'intérêts.

Alors que les politiques et médias ont dénoncé une mise en examen politique, il est important de souligner qu'il n'y a rien, à ce stade, de politique dans la composition de la Cour de Justice.

La prochaine étape, dans l'hypothèse où le Garde des Sceaux serait « renvoyé en correctionnelle », est celle du jugement. La formation de jugement de la Cour de Justice est celle qui pose éminemment problématique car elle est, elle,  fondamentalement politique. Elle est composée de trois autres juges de la Cour de cassation mais aussi et surtout de douze parlementaires, élus par les assemblées.

Parmi ces parlementaires figurent six députés :

  • M. Philippe GOSSELIN (LR) ;
  • M. Charles de COURSON, juge titulaire (centriste)
  • M. Didier PARIS, juge titulaire (LREM)
  • Mme Alexandra LOUIS, juge titulaire (LREM)
  • Mme Naïma MOUTCHOU, juge titulaire (LREM – démissionnaire), remplacée par M. Jean-Michel MIS, juge suppléant (LREM)
  • Mme Laurence VICHNIEVSKY, juge titulaire (Mouvement démocrate)

Et six sénateurs :

  • Mme Chantal DESEYNE, juge titulaire (LR)
  • Mme Catherine DI FOLCO, juge titulaire (LR)
  • M. Jean-Luc FICHET, juge titulaire (PS)
  • M. Antoine LEFÈVRE, juge titulaire (LR)
  • Mme Evelyne PERROT, juge titulaire (Union des démocrates et indépendants)
  • M. Teva ROHFRITSCH, juge titulaire (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants)

C'est donc cette seule composition de « jugement » qui révèle une intense politisation de la Cour de Justice. C'est la raison pour laquelle Anticor réclame la suppression de cette juridiction depuis toujours. Pour François Colcombet, ancien membre de cette juridiction : « La CJR est une juridiction faite par des élus pour des élus. [...] Il y a une espèce de réflexe de la classe politique qui se protège elle-même. »

En effet, comment dans une démocratie, peut-on justifier que des Ministres, au lieu d'être jugés par des juges comme tout citoyen, soient jugés par des parlementaires, dont certains de leur parti et d'autres, de partis différents, et dont juger n'est pas le métier ? 

Cette opinion est d'autant plus fondée que ce privilège de juridiction est aussi une exception française. 

Aussi, quand bien même Anticor rappelle qu'à ce stade, toutes les décisions prises dans l'affaire Dupond-Moretti ont été prises par des juges indépendants, l'association maintient que dans une démocratie, une juridiction d'exception pour juger les ministres ne devrait pas exister.

À bientôt,

Élise VAN BENEDEN
Présidente d'Anticor

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