Oasis jacquaires...
22 Avril 2024 , Rédigé par Thierry BILLET
Sur le chemin de COMPOSTELLE, il n'y a pas que la traversée de l'AUBRAC, ou la descente vers CONQUES, ou l'abbaye de MOISSAC, il y a également quelquefois une usine chimique, une station d'épuration ou l'autoroute à contourner. Mais cette fois, j'ai traversé un concentré de la France moche. Celle des maisons individuelles ceintes de murs plus hauts les uns que les autres, celle des extensions inachevées, par manque d'argent, de courage ou de goût, celle des chiens de garde et des pancartes plus débiles les unes que les autres sur le thème "le chien est gentil, mais le maître est bizarre", celle des centaines de kilomètres de chemins goudronnés où passe une voiture par jour, celle des plateaux sportifs où aucun enfant ne joue jamais, celle des villages vides de commerce et d'enfants en pleines vacances scolaires... En voiture, on fait partie du tableau, on compte les kilomètres en minutes pour aller au supermarché. A pied, on devient observateur. On a le temps, on s'immerge. Quelques photographies en forme témoignage.
On compare la hauteur des murs de soutènement, les milliers de parpaings pour s'isoler (de qui ? du voisin qui fait pareil ?). Et puis, on redécouvre de visu l'usage du désherbant dans les vignes, sous les clôtures ou au bord des ruisseaux par des agriculteurs qui oublient qu'ils s'intoxiquent d'abord eux-mêmes.
Difficile à 4 kilomètres/heure de ne pas s'interroger sur ces vies repliées sur un isolement créé de toute pièce.
Mais le soir, telles des oasis d'ouverture au monde, les accueils jacquaires de l'association des amis de SAINT JACQUES. Des personnes dont vous ignorez tout vous reçoivent chez elles. L'accueil est "donativo" selon le terme espagnol utilisé sur le "camino" : chacun donne ce qu'il peut sous réserve de prouver qu'il est bien un pèlerin dûment muni de sa crédanciale, le sésame indispensable... Et la magie opère à chaque fois.
Là, c'est un couple qui revient d'une randonnée en vélo de plusieurs mois en CORÉE et au JAPON après avoir passé plusieurs semaines à CALAIS pour donner à manger aux migrants bloqués là-bas. Ils repartent bientôt en OUZBEKISTAN mais vous parlent plutôt de leur séjour d'un an dans un village amérindien pour "aider".
Ici, c'est une dame investie dans l'accueil de familles de réfugiés syriens et de jeunes apprentis d'origine étrangère qu'il faut héberger pour qu'ils puissent poursuivre leurs études au village d'à côté. Elle me laisse seul dîner chez elle car elle a une réunion pour préparer un voyage. La porte reste ouverte jusqu'à son retour.
Ailleurs, c'est un couple qui vient vous chercher sur le chemin alors qu'ils habitent à quelques kilomètres. Elle revient de la bibliothèque où elle aide les institutrices à choisir les histoires qu'il faudra raconter aux enfants. Lui me montre l'album photo des dernières Joélettes, ces drôles de machines cyclables qui permettent d'emmener sur le chemin des personnes handicapées jusqu'à COMPOSTELLE. Une solidarité, un dévouement qui le rendent fier même si il n'utilise jamais ces mots et les réfuterait sans doute, trop pudique, trop persuadé que c'est normal de faire ça pour les autres.
Plus loin, une dame me dit au téléphone de m'installer car ils rentreront plus tard. Son mari me découvre chez lui un peu interloqué car elle n'a pas eu le temps de le prévenir. Mais il prépare le frichti que l'on partagera tous les trois en discutant de nos expériences professionnelles. Il est directeur des espaces verts dans une ville proche : les sujets ne manquent pas.
Et enfin, un accueil paysan dans une ferme qui transforme la viande des cochons qu'ils élèvent. Evidemment ils connaissent "Plutôt nourrir" et nous évoquons le souvenir de Jean VULLIET, responsable de la confédération paysanne en Haute Savoie... Pour eux, l'agriculture paysanne permet de donner du sens à la vie. Leur fils, ingénieur agronome, vient d'ailleurs de s'installer dans le département voisin dans la même philosophie. Avec sa compagne, ils gagneront trois fois moins que dans un travail salarié. Pour eux, produire sainement des aliments de qualité procure une satisfaction qui mérite ce renoncement.
Prochain départ sur le Chemin le 7 mai
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