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thierry billet

AMAZONIE, la dépendance française au soja

9 Septembre 2019 , Rédigé par Thierry BILLET

Pourquoi sommes nous responsables pour partie de la déforestation en AMAZONIE ? Parce que nos animaux domestiques consomment du soja en complément alimentaire. Peut-on faire autrement ? Voilà quelques pistes et des rappels par le journal en ligne REPORTERRE...

Amazonie : la dépendance française au soja n’est pas une fatalité

29 août 2019 / Lorène Lavocat (Reporterre)
 

 

Les incendies qui ravagent l’Amazonie sont en grande partie causés par la déforestation destinée à cultiver du soja. Cette légumineuse hypernutritive est massivement importée en France et en Europe pour nourrir volailles, cochons et ruminants. Peut-on se défaire de cette addiction au soja brésilien ?

La France a « une part de complicité » dans les incendies qui ravagent l’Amazonie. Ce n’est pas un militant écolo qui le dit, mais bien Emmanuel Macron, lors d’un entretien accordé à France 2 lundi 26 août. Et le président de préciser : « Sur le soja, on a une part de responsabilité. »

Mais en quoi cette légumineuse asiatique est-elle responsable de la catastrophe environnementale en cours ? Surtout, pourquoi diable nous, Français, qui ne consommons du soja que sous forme de lécithine cachée dans les barres chocolatées, sommes-nous soudain accusés de « complicité » avec les incendiaires ? « La plupart des foyers de feux en Amazonie ont été allumés par des humains, qui défrichent ainsi des parcelles pour les cultiver, explique Suzanne Dalle, chargée de campagne agriculture à Greenpeace. Ils coupent les arbres, brûlent les reliquats puis font paître des troupeaux, avant, finalement, d’y planter du soja. » Et si l’Hexagone achète peu de bétail en provenance du Brésil, il est en revanche très demandeur de soja, afin de nourrir les animaux d’élevage, particulièrement les poules pondeuses et les poulets. Résultat : « La France importe chaque année entre 3,5 et 4,2 millions de tonnes de soja, estimait en juin dernier un rapport de Greenpeace sur le sujet. En 2017, 61 % de ce soja provenait du Brésil, qui est donc de très loin notre premier fournisseur, avec plus de 2 millions de tonnes par an. » Si nous voulions produire en France ces 3,5 millions de tonnes de fèves, « cela équivaudrait à cultiver du soja sur la quasi-totalité des terres agricoles du Morbihan, des Côtes-d’Armor et du Finistère », indiquait également l’ONG.
« Ce n’est pas tant l’agriculture qui est dépendante du soja brésilien que le modèle industriel » 

« À la question : sommes-nous dépendants du soja brésilien, la réponse est clairement oui, résume l’agronome Marc Dufumier. Les deux tiers de nos animaux dépendent du soja américain pour se nourrir en protéines. Et l’Europe en dépend aux trois quarts. » La légumineuse séduit ainsi nombre d’éleveurs français, notamment sous sa forme triturée et broyée de tourteau, car « elle est un super-aliment, constate Suzanne Dalle. Hyper nutritif et facile à digérer pour les animaux ». « Si on veut faire produire beaucoup de lait aux vaches, ou si l’on veut des animaux qui grossissent plus vite, effectivement, on va complémenter la ration alimentaire avec beaucoup de soja, précise Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne et éleveur laitier dans le Jura. Le soja, et particulièrement celui importé, est intrinsèquement lié au productivisme. Ce n’est pas tant l’agriculture qui est dépendante du soja brésilien que le modèle industriel. »

Au-delà de ses vertus nutritionnelles, cet oléagineux doit son succès aux accords de libre-échange. D’abord, dans les années 1960, quand « l’Europe a ouvert nos frontières au soja, étasunien principalement, et en échange, on a pu exporter nos céréales », raconte Suzanne Dalle. Puis, « en 1992, poursuit Marc Dufumier, la nouvelle politique agricole commune européenne a mis en place des subventions pour soutenir la production de céréales, de lait, de viande, de sucre mis en concurrence sur le marché international. Mais, sur pression des États-Unis, les protéagineux, dont le soja, n’ont pas fait l’objet d’aides. Ça a été dissuasif : mieux valait importer que produire localement. » Cet accord est désormais connu sous le nom de Blair House. De l’autre côté de la planète, tirée par notre demande — et celle de la Chine — en aliments pour le bétail, la culture du soja a explosé en Amérique latine. Au Brésil, d’après Greenpeace, la production de soja a plus que quadruplé ces 20 dernières années, à grand renfort d’accaparement de terres, de modification génétique — 95 % du soja cultivé en Argentine et au Brésil est transgénique — et donc d’herbicides.

« Il faudrait des cultures de légumineuses – soja, luzerne, trèfle, féverole, lupin — sur 1,4 million d’hectares en France » 

Pourtant, il n’y a pas de fatalité, à en croire Nicolas Girod : « Sur notre ferme, on se fournit localement en Bourgogne en soja et colza bio, dit-il. Et, comme on ne cherche pas à produire 30 litres de lait par animal et par jour, on n’a pas besoin non plus de complémenter beaucoup nos vaches. » Avancer vers l’autonomie alimentaire n’est donc pas pour lui une utopie, à condition de « sortir de ce modèle intensif »  : « Le soja, comme les fermes-usines et les pesticides, est un symbole de l’agriculture qui s’industrialise et d’un modèle de développement fondé sur plus de commerce et plus de dépendance. »

Pour Marc Dufumier aussi, « il est temps de dénoncer les accords de Blair House » : « Devant l’Organisation mondiale du commerce, nous pouvons faire valoir un accord supérieur, le traité de Paris sur le climat, souligne-t-il. Car, en important moins de soja et en soutenant la production européenne de protéagineux, nous réduirions le transport maritime, polluant, et surtout, puisque les légumineuses fertilisent naturellement le sol en azote, nous éviterions de mettre trop d’engrais azotés de synthèse, qui sont coûteux en énergies fossiles et émetteurs de protoxyde d’azote, un important gaz à effet de serre. » Quant aux surfaces nécessaires pour cultiver l’équivalent de 3,5 millions de tonnes de soja, l’agronome a déjà fait ses calculs : « Il nous faudrait mettre des cultures de légumineuses – soja, luzerne, trèfle, féverole, lupin — sur 1,4 million d’hectares en France, affirme-t-il. Nous pourrions les prendre sur 700.000 ha de maïs ensilage et sur 700.000 ha de blé, seigle et autres céréales, que nous exportons aujourd’hui vers des pays comme l’Égypte, qui se fournissent déjà auprès de l’Ukraine. »

Suzanne Dalle, de Greenpeace, espère que le gouvernement, inspiré par le nouveau positionnement du président Macron, « va enfin rendre plus concrète et contraignante la stratégie nationale contre la déforestation importée », adoptée l’an dernier mais restée pour le moment une coquille vide. Autre levier d’action entre les mains de l’exécutif, le plan protéines végétales pour la période 2020-2026, actuellement en discussion : « On pousse pour qu’il fixe un objectif de réduction des importations de soja, explique-t-elle. Mais aussi pour qu’il développe les protéines végétales pour l’alimentation humaine. » Car à Greenpeace, on en est convaincu : pour se passer de soja brésilien, il faudra réduire notre consommation de viande d’au moins 80 % d’ici 2050, donc manger plus de légumineuses.
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