ORPEA et l'effectivité du droit
2 Février 2022 , Rédigé par Thierry BILLET
Depuis mon entrée à l'inspection du travail il y a 40 ans, la question de l'effectivité du droit me taraude. Kezaco, direz-vous ? Et bien en d'autres termes, c'est la mesure de l'écart entre le vote d'une loi et son application effective. Il est en réalité couramment possible de ne pas appliquer la législation sans prendre de véritable risque d'être condamné.
L'effectivité d'une loi exige que son application soit contrôlée de manière efficace. Chaque scandale médiatique lié à une enquête journalistique ou à un lanceur d'alerte est la preuve que le contrôle n'a pas eu lieu.
L'affaire ORPEA est la dernière révélation de cette carence. Comment un journaliste indépendant a t'il pu découvrir seul avec ses petits moyens de telles pratiques du plus grand groupe français gérant des établissements pour personnes âgées ? Comment cela a t'il pu échapper aux agences régionales de santé et aux conseils départementaux qui doivent contrôler les établissements notamment sur la question des coûts ? Comment le nombre de couches utilisées par exemple par établissement et qui doit bien apparaître budgétairement n'a t'il attiré l'attention de personne ? Comment les marges affolantes du groupe ORPEA n'ont-elles pas intrigué les ARS et les conseils départementaux ? Alors que tout le budget est sujet à négociation avec les tutelles qui discutent des lieux d'implantation des établissements, de leurs budgets, de leurs transferts dans une autre localité, etc.
Bref, l'annonce de contrôles "inopinés" et la convocation du patron par la Ministre sont simplement la preuve que les contrôles n'ont pas eu lieu quand ils auraient dû avoir lieu.
A cela deux raisons : le manque de moyens, le sabotage politique.
Le manque de moyens car la réduction des effectifs des corps de contrôle (que Mme PÉCRESSE veut encore accentuer à coup de 200 000 fonctionnaires en moins) empêche un contrôle sérieux.
L'exemple des installations classées pour la protection de l'environnement au regard du nombre d'inspecteurs dans les DREAL est patent. L'Etat ne publie plus de données statistiques sur leur activité. Je trouve juste cette comparaison dans "actu-environnement" : les fonctionnaires auraient effectué 18.196 inspections en 2018, un chiffre en baisse constante depuis 2006 où le nombre d'inspections s'élevait à 30.000. Je n'ai rien trouvé de plus récent. Qui parierait que les inspections environnementales ont augmenté depuis ?
Quand on voit comment TUMBACH est passé à ANNECY entre les mailles du filet depuis des décennies et vient seulement d'être condamné a minima par le Tribunal correctionnel en 2020 après un non lieu en ... 2006.
La Droite, en réduisant drastiquement le nombre de fonctionnaires de contrôle et en charcutant les modes de fonctionnement (comme la noyade de l'inspection du travail dans un magma administratif incompréhensible) au nom de " la libération de l'économie", marque une volonté politique de laisser faire dont elle s'offusque ensuite lorsque, par hasard, un citoyen ou une association arrivent à mettre sur la place publique une situation illégale. Alors branle-bas de combat, on convoque, on proteste, on enquête, le temps que les médias se lassent et que l'on puisse revenir au statu quo ante.
Mais insidieusement, ces réductions d'effectif et les crédos libéraux ont une autre conséquence : la démobilisation des fonctionnaires qui restent et dont l'action n'est plus saluée comme la garante d'un ordre public respectueux des citoyens et de la Loi; mais comme celle d'emmerdeurs ou de "cowboys". Dès lors, contrôler n'est plus une mission utile au service de tous, mais devient une menace pour sa propre intégrité morale ou physique. Alors, on contrôle moins, on n'y va jamais tout seul pour le cas où il y aurait un problème, et tout ceci dégrade encore plus l'efficacité du contrôle et donc l'effectivité du droit.
Ceci me rappelle un souvenir. A la suite d'un contrôle de nuit chez un gros industriel à AMIENS, et qui avait suscité une cabale judiciaire à mon égard, mon directeur - soucieux que son service n'attire aucune vague - m'avait dit "Mais qu'est-ce que vous alliez y faire la nuit ?". Et oui, qu'allais-je y faire ? Sinon mon travail. De ce travail justement, j'aimerais vous parler désormais dans les prochaines livraisons de ce blog.
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