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thierry billet

Autoroute A69, critiquer les Juges ou remettre en question le passage en force ?

7 Mars 2025 , Rédigé par Thierry BILLET

L'ami Julien BETAILLE livre dans une tribune au MONDE une analyse fine de la décision d'annulation de l'autorisation de l'autoroute A69 par le tribunal administratif de TOULOUSE qui mérite qu'on s'y arrête car  une fois de plus, des responsables politiques remettent en cause le "pouvoir des juges" parce qu'une décision ne leur plaît pas. 

Pourtant, les juges appliquent la Loi que ces mêmes parlementaires ont votée. Si ils travaillaient plus sérieusement, ces mêmes députés analyseraient les conséquences possibles de leurs votes et s'éviteraient ainsi le ridicule d'une dénonciation sans cause. Malgré cela, ils revendiquent de pouvoir à nouveau cumuler des mandats, histoire de mal faire à la Ville et au parlement. Mais je laisse la parole à Julien sur le fond.

Les réactions suscitées par l’annulation du projet d’autoroute A69 du tribunal administratif de Toulouse sont inquiétantes. Le ministre des transports [Philippe Tabarot] a qualifié cette décision d’« ubuesque » et a considéré qu’il n’était « pas acceptable » que la justice administrative puisse remettre en question une décision administrative. Une journaliste du Point [Géraldine Woessner] a dénigré le travail mené par une magistrate en raison de sa prétendue inexpérience. Un ancien président de l’Assemblée nationale [François de Rugy] a appelé à « redéfinir le champ d’intervention des juges administratifs ». Un sénateur [Union centriste] du Tarn [Philippe Folliot] a annoncé sa volonté de déposer une proposition pour modifier la loi. Cela donne le sentiment qu’une partie des responsables politiques défendent la raison d’Etat plutôt que l’Etat de droit.

Face à ce type de réactions, il faut rappeler que le rôle du juge, en tant que tiers indépendant, est de trancher des conflits sur la base du droit, et ainsi de les pacifier. Il tire sa légitimité de son indépendance et du fait qu’il s’en tient à l’application de règles de droit adoptées démocratiquement. Evidemment, son travail comporte une part de subjectivité : l’interprétation est toujours une décision, jamais une simple déduction logique. Mais plutôt que de critiquer la justice, les partisans de l’autoroute A69 peuvent tout simplement exercer leur droit de faire appel. S’agissant de la liaison CDG Express, la cour administrative d’appel est ainsi revenue, en avril 2022, sur la décision du tribunal administratif. La discussion juridictionnelle sur l’A69 est donc loin d’être terminée : il est inutile de s’en prendre à l’institution.

Les enjeux sont plus profonds encore. On comprend évidemment la frustration que cette décision a générée, car ses conséquences sont majeures. En fin de compte, tout le monde est perdant : les élus locaux, le concessionnaire, l’Etat, mais aussi la biodiversité. La réalisation de plus de la moitié des travaux avant la décision du tribunal entraîne en effet un immense gaspillage financier. L’arrêt du chantier menace de mettre des centaines d’ouvriers au chômage et, quoi qu’il arrive par la suite, la biodiversité en sortira perdante : même si des poursuites pénales sont engagées et que le concessionnaire est contraint de réparer le préjudice écologique causé par les travaux, cela ne permettra pas de revenir à la situation écologique antérieure.

La stratégie du fait accompli

Les responsables de cet immense gâchis ne sont pas les juges qui ont appliqué la directive « Habitats » [du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels], pas plus que les associations qui ont exercé leur droit d’agir en justice, mais le concessionnaire autoroutier, qui, en toute connaissance de cause, a pris le risque d’engager d’immenses travaux avant d’avoir la certitude que son autorisation ne serait pas annulée par la justice. Même si l’issue d’un procès n’est jamais certaine, le risque d’annulation pouvait en effet être anticipé. La justice administrative avait d’ailleurs déjà annulé, sur le même fondement, d’importants projets routiers, comme la déviation de Beynac-et-Cazenac, en Dordogne.

La surprise qu’a suscitée cette décision, et probablement la raison de l’excès de confiance du concessionnaire, s’explique par le fait que c’est la première fois que la justice annule l’autorisation d’un projet autoroutier pour des raisons environnementales. Jusqu’à présent, elle s’était montrée très clémente à l’égard des autoroutes, ce qui ne manquait pas de susciter la critique. D’une certaine manière, elle a ici fait la preuve de son indépendance. C’est certainement aussi cela qui lui vaut d’être sous le feu des critiques.

Plus fondamentalement, cette situation appelle à une réflexion sur les procédures juridictionnelles en matière d’environnement. Cette stratégie du fait accompli utilisée pour mettre la justice au pied du mur n’est absolument pas nouvelle, et, jusqu’à présent, les procédures dites « d’urgence » prévues pour la contrecarrer sont restées largement impuissantes : quand le juge n’a pas le temps d’examiner en profondeur un dossier nécessairement très complexe, il est très frileux à l’idée de suspendre l’exécution de travaux d’ampleur. On peut le comprendre, mais les conséquences de cette situation sont graves : l’A69 n’en est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Pragmatisme

Tant que ces conséquences ne concernaient que l’environnement, personne ne s’en préoccupait vraiment, mais le cas de l’A69 montre bien que tout le monde a beaucoup à perdre en l’absence de procédures juridictionnelles efficaces. Il faut donc travailler sérieusement et sans a priori sur des règles spéciales en matière d’environnement. Une option possible serait de prévoir que le dépôt d’un recours contre ce type de projet entraîne automatiquement sa suspension et que, concomitamment, le juge a l’obligation d’examiner ce recours dans un délai relativement court, par exemple un an. Cela présenterait, bien sûr, des inconvénients, mais, face au défaut de sagesse de certains maîtres d’ouvrage, c’est probablement nécessaire pour assurer une protection crédible de la biodiversité et améliorer significativement la sécurité juridique des projets, sans pour autant rogner l’Etat de droit.

En tout état de cause, un débat sérieux sur cette question est souhaitable. Evidemment, il ne doit pas être confisqué par des postures idéologiques : d’un côté, la défense inconditionnelle de nouvelles infrastructures ; de l’autre, leur dénonciation systématique. Il doit être abordé avec pragmatisme dans le but de pacifier les conflits, qui, malheureusement, n’ont pas manqué de se développer ces dernières années. Ne laissons pas croire qu’il suffit d’ériger une zone à défendre pour se faire entendre : nos institutions doivent être en mesure de régler pacifiquement ce type de questions. Cela passe par de meilleures procédures juridictionnelles, pas par la limitation des recours ou la critique de la justice.

Julien Bétaille, maître de conférences à l’Ecole de droit de Toulouse (université Toulouse-Capitole), est membre de l’Institut universitaire de France.

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