EGOLOGIE au MONT BLANC
L'ami Jean-Paul TRICHET, vice président de PRO MONTBLANC, et ancien vice président de l'ARSMB, utilise ce néologisme pour qualifier l'attitude de M. PEILLEX, le Maire de SAINT GERVAIS à propos du MONT BLANC.
C'est loin d'être le seul intérêt de cet article de LIBERATION.
L’avenir du plus haut sommet français, menacé par une surfréquentation destructrice, reste en suspens.
La mort, le 24 août, de huit alpinistes au mont Blanc a rappelé l’importance de sa fréquentation. Jean-Marc Peillex, le maire de Saint-Gervais-les-Bains (Haute-Savoie), d’où part l’une des voies d’ascension, en a profité pour relancer sa campagne de presse favorite. La surfréquentation du sommet, avec son cortège de décès et nuisances écologiques, ne «sont plus tolérables : le mont Blanc est devenu un parc d’attraction», répète-t-il. Il a une solution miracle : instaurer un permis d’ascension, idée rejetée par le milieu montagnard qui plaide pour plus d’information. La mortalité dans les montagnes françaises est stable : une centaine de morts chaque été, dont un quart de randonneurs et une dizaine d’alpinistes sur le seul mont Blanc. Dans les grands jours, plus de 300 personnes se lancent sur ses pentes : il souffre, outre son irrépressible aura de point culminant, d’un accès trop banalisé, en raison des remontées mécaniques sur ses flancs et d’une promotion locale historique.
Le maire de Saint-Gervais est, à cet égard, un parfait tartuffe : il n’a de cesse d’utiliser le mont Blanc pour sa communication, invitant à tour de bras journalistes et «pipeules», Gérard Holtz et PPDA en tête, à venir le gravir, rebaptisant sa commune «Saint-Gervais-Mont-Blanc» sur ses brochures, bataillant comme un forcené pour faire monter plus haut le train touristique de Saint-Gervais et ses 150 000 passagers annuels, au-delà de son terminus actuel à 2 400 mètres… Jean-Paul Trichet, vice-président de ProMont-Blanc, fédération franco-italo-helvétique des associations de défense du massif, grince : «C’est un adepte de l’egologie ; il fait feu de tout bois, sans reculer devant les pires contradictions. Il focalise l’intérêt des médias sur la fréquentation du sommet au détriment des vraies menaces.»
Chaînon manquant
Si le massif du Mont-Blanc est effectivement devenu un parc d’attraction, les 20 000 à 30 000 alpinistes attirés chaque année par son sommet phare ne représentent qu’une goutte d’eau parmi les quelque 5 millions de visiteurs annuels, France, Italie et Suisse confondues. L’économie locale vit du tourisme, une manne dont profite avant tout la vallée de l’Arve, c’est-à-dire Chamonix et ses voisines, mais aussi Courmayeur en Italie ou Saint-Gervais… Cet afflux de skieurs et touristes génère de sérieux soucis : trafic routier, pollution de l’air, nuisances sonores du trafic et des survols incessants du massif, pression urbanistique. On a beaucoup construit et on construit encore, à Chamonix comme à Courmayeur. La spéculation immobilière chasse habitants permanents et travailleurs saisonniers vers le bas des vallées, augmentant d’autant le trafic auto. Les résidences secondaires ont pullulé, au détriment des «lits chauds» : «Chamonix est tombé de 6 000 lits hôteliers en 1970 à 4 000 aujourd’hui ! Il faut donner un coup de frein sur les constructions individuelles et trouver des solutions pour utiliser l’existant», tranche le nouveau maire de Chamonix, Eric Fournier. Le ton est nouveau ; la crise prend, il est vrai, une ampleur préoccupante.
Plus besoin de dormir sur place pour visiter le massif. On y arrive très vite par la route. Sous le Mont-Blanc, le tunnel est l’un des principaux axes routiers européens. Etats et concessionnaires n’ont jamais lésiné sur les infrastructures routières. Après le drame de 1 999 (39 morts dans l’incendie du tunnel), on a redoublé les investissements : côté italien, l’autoroute plonge dans la montagne à 200 mètres du superbe glacier de la Brenva ; côté français, on finit d’aménager la nationale en deux fois deux voies avec échangeurs sur le dernier chaînon manquant, entre Chamonix et Les Houches. Les 1 600 camions et 3 200 voitures qui empruntent chaque jour le tunnel (1,8 million de véhicules par an, à peine moins qu’avant 1 999), frôlent de ce côté un glacier des Bossons en plein recul lié au réchauffement climatique.
«L’accès à Chamonix est devenu plus sûr, mais c’est cher payé : on a une infrastructure démesurée à l’échelle de notre vallée encaissée», souligne Isabelle Madesclaire, présidente de l’association Urbasite. En l’absence d’investissements forts dans le rail et les transports en commun (le train n’arrive pas à Courmayeur et il est sous-développé en vallée d’Arve où il serait d’un usage facile), ces axes routiers jouent le rôle d’aspirateur à voitures. Deux tiers des véhicules traversant la vallée vont ou viennent de Chamonix-ville, hors tunnel donc… Les tours opérateurs, en particulier ceux qui travaillent sur les marchés asiatiques en pleine croissance, n’hésitent plus à faire des excursions à la journée depuis l’aéroport de Genève.
Ce sont avant tout les remontées mécaniques qui les attirent. Il y en a plus de 80 sur les flancs du massif, certaines ouvertes toute l’année comme la plus célèbre, le téléphérique de l’Aiguille du Midi (500 000 passagers par an) ou le train du Montenvers vers la mer de Glace (350 000 passagers). Elles sont majoritairement exploitées par la Compagnie du Mont Blanc (CMB), créée en 2000, satellite de la Compagnie des Alpes qui détient les plus grands domaines skiables de la chaîne alpine et une bonne partie des parcs d’attraction européens. La CMB, dont la ville de Chamonix est actionnaire minoritaire, gère sa belle affaire avec dynamisme. Décriée pour sa politique tarifaire (monter à l’Aiguille du Midi coûte 38 euros, 21 euros pour la mer de Glace), la compagnie rénove à tous crins les équipements de la vallée d’Arve. Elle aménage la ville, remplace les anciennes télécabines par de nouvelles, à plus haut débit, hier à Vallorcine et aux Houches, demain aux Grands-Montets, et cet été au Brévent : la capacité de la nouvelle télécabine de Planpraz est passée de 1 300 à 3 000 personnes par heure.
Ce chantier à 11 millions d’euros est un révélateur des rapports de forces locaux : la ville de Chamonix a validé le doublement du débit de cette remontée, dont la gare de départ est en ville, sans avoir résolu les difficultés d’accès que cela va poser, ni budgété le démantèlement des cinq pylônes monumentaux, en béton brut, de l’ancienne remontée. La CMB a défriché à côté, doublant la largeur de la trouée dans la forêt au-dessus de Chamonix. François Bidaut, le patron de la CMB, a soufflé, sans rire, une solution à la municipalité : conserver un ou plusieurs de ces pylônes au titre du patrimoine et les faire décorer par des artistes. Il se défend : «Le démontage est du ressort du propriétaire. N’inversons pas les rôles : nous ne sommes que des exploitants! On ne peut pas nous reprocher de faire du business, c’est notre vocation. Les communes nous disent : "Nous voulons développer le tourisme, faites des remontées." Nous ne sommes aménageurs que pour le compte d’autrui.»
Autre exemple, la CMB a décidé de rénover la télécabine qui traverse le cœur du massif, de l’Aiguille du Midi à la pointe Helbronner, versant italien. Elle a été construite en 1957, malgré le refus de l’Etat, qui s’était ensuite incliné devant le fait accompli. La capacité de cette remontée, qui défigure une zone naturelle exceptionnelle à plus de 3 000 mètres d’altitude, va passer de 140 à 300 personnes par heure. Le maire de Chamonix concède qu’il ne s’y opposera pas : «On ne change pas d’appareil, on reste sur de tout petits volumes de passagers…» ProMont-Blanc milite pour le démantèlement : «Se séparer de cet équipement serait un signe fort de basculement vers le développement durable. Le fait de le moderniser démontre qu’on reste dans le tout aménagement», assène Jean-Paul Trichet.
La démarche est encore plus claire côté italien, où la région du Val-d’Aoste va débourser 100 millions d’euros pour remplacer le Funivie Monte Bianco, une remontée vieillotte mais prestigieuse qui mène à la Pointe Helbronner, balcon sur le Mont-Blanc et la vallée Blanche, l’une des très rares du massif à ne pas être sous le contrôle de la Compagnie des Alpes. De 100 000 passagers par an, Funivie devrait vite passer à 250 000. Le dossier est bouclé, les travaux commenceront en 2009. Avec cet équipement, Courmayeur, endormi depuis son âge d’or du milieu du siècle dernier, veut se relancer. La ville va déjà chercher des clients dans les métropoles italiennes grâce à son autoroute, mais aussi, comme Chamonix, chez les tours opérateurs, les clients russes ou asiatiques. L’heure du tourisme de masse ? Fabrizia Derriard, nouvelle maire de Courmayeur, s’en défend et assure qu’elle veut jouer l’atout touristique des deux zones Natura 2000 de la commune, dont le plan de gestion doit encore être validé et financé par l’Union européenne. La maire défend par ailleurs la pratique de l’héliski (ski avec portage par hélicoptère), florissante sur ce versant du mont Blanc et rêve d’une liaison «ski aux pieds» avec la Haute Tarentaise française… La puissance à venir des infrastructures de la vallée ne laisse donc guère d’illusions.
Déclaration d’intention
L’idée d’un parc international du Mont-Blanc, envisagée à la fin des années 80, avait été écartée par les élus haut-savoyards, valdôtains et valaisans. En 1991, a vu le jour un Espace Mont-Blanc, organe transfrontalier chargé par les Etats de concilier protection de l’environnement et développement économique. Dix-sept ans plus tard, l’échec de cette structure est patent. Les espoirs se tournent désormais vers un classement du massif au patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco. Ce projet initié par ProMont-Blanc semble convaincre nombre d’élus locaux, régionaux et nationaux, dont Eric Fournier, le maire de Chamonix: «Cela permettrait de donner de la cohérence aux politiques publiques, tout en les accélérant, à commencer par les transports. L’Unesco, c’est le pari de se dire qu’on parvient à aller plus vite vers le ferroviaire, vers le développement durable.» Jean-Paul Trichet renchérit : «Da ns l’histoire, ce massif a toujours su inventer, innover, mais depuis cinquante ans, il ne se passe plus rien. On peut faire de grandes choses ici. Les collectivités et les Etats en ont-ils la volonté ?»
Une candidature au patrimoine mondial implique que les Etats et territoires concernés élaborent un contrat de gestion et de protection. L’Espace Mont-Blanc juge le projet «prématuré». Les communes italiennes se sont prononcées pour ; les communes françaises pas encore. «Laissez-nous quelques mois», plaide Eric Fournier, qui a le soutien des communes de l’Arve, mais pas celui de Saint-Gervais : Jean-Marc Peillex a trouvé là une occasion de plus de se distinguer en s’opposant violemment. La région Rhône-Alpes soutient le projet mais n’y travaille pas ; l’assemblée du Val-d’Aoste reste muette. Et si l’Italie et la France ont déposé une déclaration d’intention auprès de l’Unesco, la Suisse ne l’a pas fait, tandis que le nouveau ministre de l’Environnement italien est aux abonnés absents. Nicolas Sarkozy, en campagne au pied du glacier des Bossons, avait promis que ce classement serait «un combat pour la France». Jean-Louis Borloo, ministre de l’Ecologie, fanfaronnait en octobre 2007 : «J’ai convenu avec l’Italie et la Suisse de déposer un dossier commun concernant le statut du Mont-Blanc.» Le plus haut sommet d’Europe de l’ouest attend toujours un début d’éclaircie.