Depuis 1960, le prix de l'énergie est stable en euros constants
Voici son interview dans SUD OUEST.
Selon Guillaume Sainteny, une baisse de la taxe sur les carburants entrave l'essor des voitures propres
Ancien directeur des études économiques et de l'évaluation environnementale au sein du ministère de l'Environnement et du Développement durable, Guillaume Sainteny enseigne le développement durable à l'Institut d'études politiques de Paris et à l'École polytechnique. Il est l'auteur de « Plaidoyer pour l'écofiscalité » (Buchet-Chastel, 2012).
Sud Ouest. Vous donnez à voir que le prix moyen du carburant a baissé depuis les années 1960 et que la fiscalité qui lui est appliquée est stable depuis ces années-là. Comment dès lors
expliquer l’extrême sensibilité de l’opinion aux prix à la pompe ?
Guillaume Sainteny. Le discours ambiant fait abstraction du fait que la hausse sur la durée n’est effective qu’en euros courants, avec l’inflation. C’est ce que ressentent les
gens. Mais quand vous comptez en monnaie constante, vous vous rendez effectivement compte qu’il n’y a pas d’augmentation. Par ailleurs, depuis la première crise pétrolière en 1973, les
performances énergétiques des moteurs se sont considérablement accrues. A prix égal si une automobile consomme aujourd’hui 6 l/100 km alors qu’elle consommait 12 litres il y a 20 ans, cela
signifie que le coût du km parcouru a été divisé par deux. A l’inverse, cette évolution a été moins franche aux Etats-Unis puisque les prix des carburants y sont restés nettement plus bas.
Troisième élément : le revenu moyen des Français a beaucoup augmenté depuis les années 1960. En conséquence, la part du revenu consacrée à l’achat d’un litre d’essence a diminué.
Qu’est-ce qui a changé dans les manières de se déplacer ?
Il faut avoir en tête qu’il y a une différence très importante entre les combustibles et les carburants. La directive européenne qui sert de cadre à la taxation autorise les états membres à
adopter des taux de taxation plus bas pour les combustibles, parce que ceux-ci répondent à des besoins incompressibles comme le besoin de se chauffer. Il est plus complexe en revanche de cerner
le besoin de se déplacer. Il y a d’une part la liberté d’aller et venir et d’autre part les déplacements contraints. Deux éléments ont bouleversé la donne par rapport à la situation des années
1960/ 1970. D’abord, le déclin de la part des transports collectifs, avec un corollaire qui est le multi-équipement, le fait de posséder deux voire trois voitures par foyer. Ensuite,
l’augmentation massive des déplacements contraints. Jusqu’aux années 1970, on avait encore une France très rurale, où habitaient des gens qui se déplaçaient très peu, et une autre partie de la
population qui résidait à proximité des emplois et qui se déplaçait en train et, pour la région parisienne, en métro. Depuis, la SNCF a investi massivement sur le TGV en délaissant les TER. Et
les transports intra-urbains n’ont pas du tout suivi l’étalement de l’habitat, c’est vrai pour Paris et pour les autres grandes conurbations françaises. La voiture, qui restait un luxe il n’y
pas longtemps – son achat était taxé à 33% de TVA il y a encore 20 ans, le taux appliqué aux produits de luxe – est devenue de plus en plus indispensable parce que les politiques du logement et
des transports n’ont pas été coordonnées. Dans le gouvernement actuel, la séparation du ministère du Logement de celui de l’Ecologie, qui a conservé les transports, n’augure pas d’une meilleure
coordination.
Que pensez-vous d’une baisse de la fiscalité sur les carburants ?
Cela me semble contradictoire avec le plan Montebourg de relance de l’automobile, qui a pour objet de promouvoir les véhicules efficients et les véhicules électriques et hybrides. On ne peut y
arriver qu’en baissant le différentiel de prix entre ces véhicules-là et ceux qui carburent aux énergies fossiles. Si trois semaines après, vous baissez le coût des carburants fossiles, qui
peut s’y retrouver ? Vous recréez un écart de prix entre les deux catégories. Soit cette absence de cohérence n’a pas été perçue lors des discussions interministérielles, soit les pouvoirs
publics ont considéré qu’il fallait malgré tout faire un geste au retour des vacances, geste par ailleurs modeste. Mais cette mesure a un deuxième inconvénient : elle n’est pas socialement
ciblée. Tout le monde en profite, y compris les propriétaires de Ferrari. En outre, sur le plan budgétaire cela est couteux : le plan Montebourg augmente les dépenses et la baisse de la TICPE
diminue les recettes. 1 centime d’euro en moins sur le litre, c’est environ 500 millions de TICPE (taxe intérieure sur la consommation des produits pétroliers) en moins en année pleine. On ne
va guère dans le bon sens par rapport aux problématiques budgétaires du pays. En outre, arrive bientôt la conférence environnementale programmée les 14 et 15 septembre. Il y a cinq tables
rondes prévues, dont l’une sur « énergie-climat » et une autre sur l’éco-fiscalité. La baisse de la TICPE, trois semaines avant, est un mauvais signal.
Que faudrait-il faire ?
On ne peut pas à la fois ériger en priorité politique la « transition énergétique » et la retarder en diminuant la fiscalité des énergies fossiles. La « transition énergétique » se fera
précisément par une diminution du coût des énergies renouvelables et une augmentation du coût des énergies fossiles qui rend plus rentable leur économie et leurs alternatives. La hausse du prix
de l’essence oriente les efforts de recherche et développement des constructeurs vers la réduction de la consommation de carburant. C’est au bout du compte le consommateur qui en profite. Et
cela nous ouvre des marchés à l’export, par exemple en Chine. La réponse à long terme, c’est la diminution des déplacements contraints, le développement des transports collectifs et une
nouvelle politique de l’urbanisme avec des villes plus denses et plus mixtes, qui séparent moins les lieux de travail des lieux de résidence. Mais les retombées politiques ne sont elles aussi
qu’à long terme.
Les programmes des principaux candidats à l’élection présidentielle étaient muets sur les solutions de long terme.
Elles sont tout aussi absentes du débat actuel. Qu’en pensez-vous ?
Je suis très frappé que les forces politiques ne se saisissent pas de ce sujet. La problématique de l’étalement urbain semble avoir disparu du discours politique. Les priorités en matière de
logement semblent pour l’instant se limiter à la libération du foncier et à la mobilisation de nouveaux moyens financiers, notamment via le relèvement du plafond du Livret A. Mais, si ces
moyens ne sont pas fléchés en priorité sur la rénovation de l’ancien, la densification de l’existant et la construction près des transports collectifs, la question de l’étalement urbain ne fera
que croitre. Or, il s’agit clairement d’un développement « anti-durable » tant pour des raisons économiques (coûts des transports, des réseaux, des voiries, disparition des terres agricoles
etc.), environnementales que sociales. Par exemple l’isolement des personnes âgées qui ne peuvent plus conduire ou qui ne possèdent pas de véhicule.
La fiscalité sur les carburants est selon vous une « fiscalité de rendement » qui vise à engranger des recettes avant d’orienter la consommation vers tel ou tel type de carburant. S’en
servir demain pour abaisser les prix à la pompe participe-t-il de cette logique ?
Dans un sens, oui. Car si on fait baisser la fiscalité, le consommateur est incité à consommer un peu plus. Non, si l’on considère que les possibilités d’action sur la fiscalité sont
relativement minimes. D’une part, la variation des taxes est nettement moindre que celle des cours du pétrole brut. Celle-ci est quasi-journalière alors que le temps requis pour une décision
gouvernementale est très long. La preuve, on en parle depuis le début de l’année. Deuxièmement, les contraintes budgétaires sont fortes. Pourra-t-on aller beaucoup plus loin que 500 millions de
recettes fiscales en année pleine, soit un centime d’euro de moins par litre ? Enfin, le consommateur est intéressé par le prix global au litre, pas par la part des taxes.
Quelle est l’histoire de la taxation des carburants en France ?
La TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers), maintenant TICPE, a été inventée en 1928 et c’était dès le départ un impôt de rendement à une époque ou les considérations d’environnement
ne pesaient guère. A l’époque, elle n’avait aucun but incitatif. Mais on se rend compte que le prix des carburants a quand même un effet sur la consommation. A partir de 2008, la pente continue
d’augmentation de la consommation de carburant s’est interrompue. Il y a un effet de ce qu’on appelle l’élasticité, c'est-à-dire la façon dont la variation d’un prix influence la demande d’un
bien. A court terme, l’élasticité est faible. Si vous êtes obligés de déposer vos enfants à l’école et d’aller à votre travail en voiture, vous allez continuer. A long terme, elle est plus
importante. Elle joue sur les possibilités de se relocaliser par rapport à son lieu de travail, ou encore sur les efforts de recherche et développement des constructeurs automobiles. C’est pour
cela qu’il est crucial d’avoir un signal prix constant sur la durée. Le mouvement de yoyo qui consiste à baisser les prix maintenant pour les remonter ensuite n’est pas bon, ni pour les
consommateurs, ni pour les constructeurs, ni pour les industriels qui cherchent à développer des énergies alternatives.
Le gouvernement allemand vient de déclarer que son rôle ne consistait pas à faire baisser le prix de l’essence. Quelle est la doctrine en vigueur en Allemagne ?
Leur politique est remarquable en matière d’éco-fiscalité. Le gouvernement Schröder (NDLR : 1998 – 2005) avait décidé d’augmenter la taxation de l’essence et du gazole de trois centimes d’euro
par litre par an pendant cinq ans. C’était clairement affiché. Les consommateurs le savaient, les constructeurs aussi. Tout le monde avait ce signal en tête et a adapté son comportement sur le
long terme. Le gouvernement a gagné sur les deux tableaux. Les recettes issues de la fiscalité de l’énergie ont crû de 35% entre 1998 et 2009, elles sont passées de 34 à 46 milliards d’euros
alors qu’on est resté stable en France, à 24 milliards d’euros. En Allemagne, ce surplus de recettes fiscales a permis d’alléger les charges sociales sur le travail. Et la consommation finale
d’énergie provenant des produits pétroliers y a diminué de 10%. Ce qui prouve bien que la fiscalité de l’énergie habilement maniée peut à la fois procurer des recettes fiscales et orienter les
comportements.
Quelles incidences au final sur la société française ?
Depuis les années 1960, il n’y a pas eu d’augmentation du prix de l’énergie, en euros constants, notamment par rapport aux revenus. Mais cette augmentation a été colossale sur les prix de
l’immobilier. Imaginez un seul instant que l’évolution ait été inverse : le prix de l’immobilier constant et celui des déplacements en très forte hausse. On aurait un urbanisme totalement
différent. Vous auriez des villes denses, mixtes et multifonctionnelles, et beaucoup moins de besoins de déplacements contraints. Le rapport relatif des prix est donc très important. La
coordination de la politique de l’urbanisme avec la politique des transports aussi.