Cohn Bendit dans Libé, pas un mot à changer !
Interview Daniel Cohn-Bendit déplore «l’arrivisme» des leaders verts.
Grâce à leur alliance avec le PS, jamais les écologistes n’ont été aussi forts dans les institutions. Mais au sein de la société comme dans leur mouvement, c’est la baisse de régime. A la veille d’un conseil fédéral où Cécile Duflot quittera la direction du parti, Daniel Cohn-Bendit met en cause les dérives d’Europe Ecologie-les Verts qu’il a cofondé.
Ce bilan historique est la conséquence logique de nos succès aux élections européennes en 2009 et régionales en 2010. Et, plus largement, de la création d’Europe Ecologie-les Verts. Le PS a compris que l’écologie politique est ancrée dans une partie de la société et que pour remporter une victoire contre la droite, il avait besoin de nous.
Le paradoxe, c’est qu’on existe à l’Assemblée, au Sénat et au gouvernement, mais plus dans la société. Nos succès institutionnels ne sont pas accompagnés, bien au contraire, d’une dynamique citoyenne. Notre image est devenue détestable. Nous avons échoué là où on voulait redonner espoir : en faisant de la politique autrement. Aujourd’hui, nous incarnons souvent l’insoutenable légèreté de l’arrivisme.
Quand on voit par exemple, dans un documentaire, Cécile Duflot brandir son stylo en jurant qu’elle ne signera jamais un accord avec le PS sans la sortie du nucléaire. Et qu’évidemment on le signe quand même, car c’est un bon accord, cela est dévastateur. Le plus détestable a été la course aux maroquins ministériels, y compris chez mes propres amis. Nous donnons des leçons de morale politique à tout le monde et, en même temps, nous nous accommodons parfaitement du fonctionnement hiérarchique, autoritaire et clanique de la politique traditionnelle. Tout cela fait qu’en un an, nous avons perdu plus de la moitié de nos militants.
Je suis un des coupables. Quand j’ai déclaré que l’important, pour EE-LV, était d’avoir un groupe à l’Assemblée et au Sénat, et pas de concourir à la présidentielle, je n’ai pas eu l’énergie et la lucidité de proposer une candidature, ou la mienne, pour participer à la primaire de la gauche qui aurait été, du coup, socialiste, radicale et écologiste. Cela aurait rendu notre alliance avec le PS plus cohérente et nous serions sortis du piège présidentialiste avec un positionnement plus clair. Mais j’ai pris de l’âge et de la bouteille, j’ai donc accepté la dérive culturelle nationale-présidentialiste de EE-LV.
Nicolas Hulot a voté Mélenchon et Eva Joly a fait du Mélenchon pendant sa campagne. Pour des candidats qui voulaient représenter l’écologie politique, cela montre la perte d’orientation qui frappe notre mouvement. Jean-Luc Mélenchon prône la planification écologique mais dans un seul pays, à l’opposé de la dimension européenne portée par EE-LV.
Absolument. Et je l’ai défendue. J’ai été un des rares à monter résolument au créneau. Pour une fois ce n’est pas son complice Jean-Vincent Placé qu’on a vu sur tous les plateaux et dans toutes les radios pour la soutenir, trop occupé qu’il était à trouver un ministère.
Cécile Duflot a une capacité hors du commun à s’imposer dans l’organisation. Même si elle peut la laisser en lambeaux. Mais elle peine à avoir des idées qui aillent au-delà de la matrice traditionnelle des écologistes. Chef de clan, elle impose l’intérêt de ses pairs comme l’intérêt commun. Malheureusement, par réflexe d’opposition, mes amis et moi nous nous sommes laissés aller à la même dérive.
Soyons clairs, ce n’est pas à moi de continuer à mener ce combat. Si d’autres le font, je peux les accompagner. Mais je suis un militant en sursis. Etant coprésident du groupe des Verts européens, j’anime au Parlement et dans toute l’Europe, avec d’autres, le débat existentiel sur l’avenir de l’Union. J’avoue que les nombrilismes nationaux, et donc aussi français, m’ennuient profondément. Si ce parti continue avec cette structure pyramidale autoritaire, ce sera sans moi. On me reproche de ne pas être au charbon et, en même temps, on me dit : «Dany, ton intervention au Parlement européen sur la Chine, la Libye ou l’Egypte, ça, c’est Europe Ecologie !» Il faut savoir aussi se partager les tâches.
Bien sur. Mais il ne se produira que si nous sommes capables d’avoir un débat interne et de remettre en question nos pratiques. Quand j’entends certains se gargariser en disant : «On est à l’apogée de notre pouvoir politique, on est la troisième force parlementaire», je dis attention ! Quand on aura participé pendant un ou deux ans au gouvernement dans ce contexte de crise, les prochaines élections seront très difficiles. Il faudra avoir des choses à dire.
Pour la présidence de notre groupe à l’Assemblée, le binôme homme-femme avec François de Rugy et Barbara Pompili est un bon début. Reste à faire de même au Sénat et à la tête d’Europe Ecologie. Au Parlement, pour être des aiguillons, nos députés devront prendre des initiatives et faire preuve d’imagination politique. Leur seule mission ne peut pas être de sauver les soldats ministres EE-LV.
C’est le défi. Et ce que propose Pascal Durand [qui va succéder à Cécile Duflot à la tête du parti, ndlr]. Je ne mets pas en doute sa volonté de parvenir à un fonctionnement plus collectif.