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thierry billet

Cyril DION répond à Emmanuel MACRON

7 Décembre 2020 , Rédigé par Thierry BILLET

Je vous invite à prendre connaissance de la réponse de Cyril DION, initiateur de la convention citoyenne sur le climat,  à Emmanuel MACRON qui l'a vivement mis en cause lors de son interview sur "BRUT" il y a quelques jours. Nous avons un problème démocratique à résoudre avec ce Président et ce gouvernement : celui de la parole donnée en matière climatique.

Cyril Dion à Emmanuel Macron :
« Tenir parole, pour un président de la République,
c’est le socle de nos démocraties »

En réponse aux propos du chef de l’État sur « Brut », le cinéaste demande le respect de l’engagement à soumettre, « sans filtre », au Parlement ou par référendum, les propositions de la convention citoyenne pour le climat.

Monsieur le Président,

Puisque vous m’avez apostrophé avec une certaine véhémence dans votre live pour le média Brut [vendredi 4 décembre], je me permets de vous adresser ici une réponse.

Vous semblez touché que je vous ai « aidé » et qu’aujourd’hui je vous critique. Vous me traitez « d’activiste » comme si c’était un gros mot. Vous dites que je ne suis pas « honnête », que je fais une « caricature ». Au-delà de la perplexité que m’évoque cette morgue à mon endroit dans la bouche du président de la République, il me semble que c’est vous qui ne respectez pas la parole que vous avez donnée. Et que c’est préoccupant pour plusieurs raisons.

En février 2019, je suis effectivement venu, avec Marion Cotillard, vous proposer d’organiser une assemblée citoyenne pour le climat, reprenant la proposition que nous vous avions faite avec le collectif des « gilets citoyens » le 23 janvier dans Le Parisien. Pourquoi ? Parce que depuis quarante ans, tous les gouvernements savent pertinemment que le dérèglement climatique existe, en connaissent les causes, les conséquences et les remèdes.

Opérer des changements systémiques

Pourtant, depuis quarante ans, leur réponse à cette urgence vitale pour l’humanité est indigente. Elle l’est pour plusieurs raisons. D’abord parce que des groupes d’intérêt (l’exemple le plus célèbre est celui d’Exxon aux Etats-Unis) ont pesé de tout leur poids pendant des années pour semer le doute sur la réalité du phénomène. Ensuite parce que notre modèle économique fondé sur une croissance sans limite s’accorde mal avec la frugalité que la crise écologique demande. Enfin, parce que c’est très compliqué. Les changements à opérer sont systémiques, massifs. Opérer le virage écologique implique de bouleverser nos sociétés. Certains y voient l’occasion d’un monde meilleur. D’autres la perte d’une forme de confort, de certains acquis, de leurs emplois…

Chacune des parties prenantes de notre société cherche légitimement à défendre ses intérêts. C’est la cacophonie et le tiraillement. Bien souvent, les élus en quête de réélection cherchent à contenter tout le monde et ont rarement le cran d’aller aussi loin que la situation le demanderait. Ils se rabattent donc sur le plus petit dénominateur commun : des mesures tièdes, en demi-teinte, rarement à la hauteur de l’enjeu. Ce fut le cas du Grenelle de l’environnement, de la loi EGalim sur l’agriculture et l’alimentation, de la plupart des COP climat. Résultat, la catastrophe est maintenant à nos portes et il sera bientôt trop tard pour éviter le pire.

« Il s’agit de faire participer les citoyens à la décision. Renouveler un pacte démocratique affaibli et parfois même piétiné par le nombre de promesses non respectées »

Nous avons parlé de tout cela. Et je vous ai partagé une conviction : pour surpasser ces difficultés, nous avons besoin de modèles démocratiques innovants, qui permettent une véritable délibération des Français, dans leur diversité, pour trouver des solutions justes et efficaces, acceptables par le plus grand nombre. On accepte plus facilement une décision difficile que l’on a participé à prendre qu’une décision imposée d’en haut, par un gouvernement.

Le mécanisme proposé était le suivant : une assemblée de Français tirés au sort, représentatifs de toutes les réalités du pays, auditionne des experts incontestables sur la science, puis des parties prenantes de toute la société (entreprises, ONG, syndicats, élus, etc.). Ils délibèrent à ciel ouvert (tout est accessible en ligne) et formulent des propositions qui sont ensuite soumises au reste des Français par référendum ou, au minimum, au Parlement.

Simulacres de démocratie participative

J’ai été très clair avec vous : pour que cette initiative démocratique fonctionne, il est indispensable que vous vous engagiez à reprendre les propositions issues de la délibération des citoyens « telles quelles » pour les soumettre aux Français ou aux députés. Pour une raison simple. Depuis des années, des responsables politiques organisent des simulacres de « démocratie participative ». Les citoyens sont consultés et ensuite les élus n’en font, très souvent, rien. Des experts sont mandatés, travaillent d’arrache-pied (comme lors du Grenelle de l’environnement, comme le Haut Conseil pour le climat), puis leurs recommandations sont ignorées, détricotées, affaiblies par le phénomène décrit plus haut. Là, il s’agit d’autre chose : faire participer les citoyens à la décision. Renouveler un pacte démocratique affaibli et parfois même piétiné par le nombre de promesses non respectées.

Le 25 avril 2019, après des mois de discussions entre l’Elysée, le ministère de la transition écologique et des membres des « gilets citoyens », vous avez annoncé la création d’une assemblée citoyenne composée de 150 citoyens tirés au sort. Vous avez déclaré : « Ce qui sortira de cette convention sera, je m’y engage, soumis sans filtre soit au vote du Parlement, soit au référendum, soit à application réglementaire directe. »

Le 10 janvier, vous avez rendu visite aux membres de la convention. Vous êtes revenu sur cette notion de « sans filtre » et avez déclaré : « Si à la fin de vos travaux vous donnez des textes de loi, des choses précises, là je m’engage à ce qu’ils soient donnés ou au Parlement ou au peuple français tels que vous les proposerez. » C’est le cas pour de très nombreuses propositions. Le 29 juin, vous nous avez reçus dans les jardins de l’Elysée. Vous avez une nouvelle fois été très clair sur le débouché des propositions de la convention : « Je vous confirme que j’irai au bout de ce contrat moral qui nous lie en transmettant la totalité de vos propositions à l’exception de trois d’entre elles.»

De mon côté, je me suis engagé, si vous ne respectiez pas votre parole, à me manifester et à être le garant du respect de votre engagement auprès des citoyens. Cet engagement, c’est vous qui l’avez pris. Personne nous vous y a obligé. C’était d’ailleurs extrêmement courageux de votre part.

« Les détricotages se multiplient »

Vous avez également donné aux citoyens de la convention un « droit d’alerte ». Depuis plusieurs mois maintenant, de nombreuses alertes vous sont adressées, sont adressées à vos conseillers à l’Élysée, à la ministre de la transition écologique.

Des mesures qui devaient être transmises sans filtre aux parlementaires sont modifiées et parfois amoindries par le gouvernement, d’autres que vous aviez dit retenir sont finalement écartées, dont l’une – un moratoire provisoire sur la 5G – que vous avez rejetée en déclarant ne pas croire dans « le modèle amish » et ne pas vouloir revenir « à la lampe à huile »…

Malgré ces alertes, les détricotages se multiplient. Ils ont été analysés par le Réseau Action Climat. Parallèlement, des députés s’alarment de ne pas pouvoir participer à la concertation avec les citoyens, qui avait été promise. J’ai donc relevé le niveau d’alerte et lancé une pétition pour vous appeler à respecter votre engagement. Elle a déjà été signée, au moment où je vous écris, par plus de 321 000 personnes.

Ce que nous – signataires de cette pétition – vous demandons n’est ni un « sketch », ni une trahison, ni une « solution de fainéant », mais simplement de tenir parole. Nous vous le demandons aujourd’hui car c’est en ce moment qu’ont lieu les arbitrages de la grande loi climat qui doit reprendre le plus grand nombre des propositions de la convention citoyenne. Et qu’elle pourrait être la plus ambitieuse que la France ait jamais connue.

Nous vous le demandons parce que les climatologues misent sur un réchauffement de 3 à 7 °C d’ici à la fin du siècle et que notre planète pourrait devenir partiellement inhabitable.

Nous ne vous donnons pas de leçons

Parce que l’avis du Conseil d’Etat donne trois mois à votre gouvernement pour justifier que la trajectoire de réduction à l’horizon 2030 pourra être respectée.

Parce que le Haut Conseil pour le climat a rappelé maintes fois que la France ne tient pas ses objectifs pour respecter les accords de Paris.

Parce que « sans mesures urgentes, la crise climatique pourrait saper les progrès des cinquante dernières années en matière de santé publique, perturbant des millions de vies et submergeant les systèmes de santé », prévient une étude publiée le 3 décembre par la revue britannique The Lancet.

Nous ne vous donnons pas de leçons. Nous savons que tout ceci est complexe. C’est justement pour cela que les citoyens ont travaillé depuis un an à proposer un plan robuste « dans un esprit de justice sociale ».

Par-dessus tout, nous vous le demandons, parce que nous croyons toujours, même si c’est un peu vieux jeu, que tenir sa parole, pour un président de la République, c’est le socle de nos démocraties.

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