A quelques semaines des Jeux olympiques de Paris (JO), on évoque trop rarement l’écosystème unique que tisse la plateforme Airbnb. Bien qu’il soit tentant d’établir un parallèle avec l’émergence de Booking.com au début du millénaire, la stratégie d’Airbnb est, en de nombreux points, totalement inédite.
La plateforme est valorisée près de 100 milliards de dollars en n’employant que 6 000 salariés, alors que le leader mondial de l’hôtellerie Marriott n’est valorisé que 60 milliards : ne possédant pas de logement, elle concurrence l’industrie hôtelière dans la plupart des destinations.
Malgré l'assurance d'une rentabilité supérieure à la location longue durée et d'une fiscalité avantageuse, certains freins demeurent à la décision d'investir dans la location courte durée, qu'un locataire ne dégrade le logement, qu'il consomme trop d'énergie ou qu'il provoque des nuisances dont le voisinage pourrait se plaindre.
Airbnb veille à rassurer les voyageurs et les hébergeurs par l’attribution de notes… mais la plateforme va beaucoup plus loin, en proposant aux propriétaires une solution technologique détectant le niveau de bruit, le taux d’humidité et la température, et informant ce dernier en temps réel de situations à risque telles qu’une occupation excessive, une température anormale, un niveau de bruit exagéré ou encore la présence de fumée de cigarette. Airbnb s’emploie, en somme, à apporter une réponse à chaque élément de risque ou de contrainte susceptible de dissuader les propriétaires et les voyageurs de recourir à la location courte durée, en référençant des services proposés par des tiers comme les conciergeries, ainsi qu’en proposant des assurances «maison».
Le capital informationnel sur les hôtes
A mesure qu’elle croît (86 millions de nuitées en France en 2022), Airbnb accumule un capital informationnel sur les hôtes et les clients pour en établir un profilage comportemental : préférences en termes de destination, de type de logement, de durée et de période de séjour, réputation auprès des propriétaires (annule-t-il souvent ses réservations, est-il ponctuel à l’arrivée et au départ, laisse-t-il le logement en bon état de propreté ?), etc. Lors d’une interview récente (1), l’un des fondateurs de la plateforme annonce ainsi son intention de se développer hors du monde du voyage, en proposant de la location de véhicules entre particuliers, mais surtout des services de location de logement de longue durée.
Dans un contexte d’hostilité croissante des municipalités à la location courte durée, Airbnb serait-elle en train de s’éloigner des usages de court terme de logements pour intégrer dans son modèle les usages de long terme de ces derniers ?
Airbnb devient dans chaque territoire l’organisateur d’un réseau de prestataires, offrant aux propriétaires bailleurs des technologies d’automatisation et de maîtrise des risques inhérents à l’activité de location d’hébergement. La plateforme a la faculté d’organiser en confiance des marchés d’échange entre pairs aujourd’hui embryonnaires, tels que la location de véhicules entre particuliers, et est en mesure de bouleverser la compréhension des facteurs de sinistralité d’un individu ou d’un projet, de définir leurs profils de risque, pour proposer des tarifs différenciés (assurance, prêt…), voire de refuser certains clients.
Ce capital informationnel lui confère également une connaissance des destinations et des quartiers gagnant en popularité, des préférences des voyageurs, d’une valeur considérable pour les promoteurs immobiliers, les gestionnaires d’actifs et les organismes de financement de l’immobilier. Quelle stratégie Airbnb établira-t-elle en la matière ? En Amérique du Nord, la plateforme annonce collaborer avec les propriétaires, les gestionnaires et les promoteurs «dans toutes les catégories d’actifs résidentiels», en vue de favoriser la construction des logements les plus demandés. Airbnb semble donc avoir pour stratégie d’influencer la définition de l’offre d’hébergement, qu’elle se chargera ensuite de louer pour le compte des propriétaires.
Malgré une tendance mondiale au durcissement du cadre réglementaire et fiscal des locations de courte durée, l’airbnbisation de nos territoires pourrait modifier profondément l’urbanisme, les conditions d’accès au logement ainsi que d’exercice d’un nombre croissant d’acteurs économiques.
(1) Financial Times, 4 octobre 2023.