Triste tigre de Neige SINNO
28 Décembre 2024 , Rédigé par Thierry BILLET
Je n'avais pas lu "Triste tigre" en 2023 lorsque ce livre obtint le prix Fémina et celui du Goncourt des lycéens. Quel choc en le lisant ces jours-ci... Je l'ai lu deux fois de suite; ce qui ne m'était jamais arrivé. Sans doute était-ce le moment adéquat de le lire après le procès insoutenable des 51 violeurs de MAZAN ? En tous cas, l'histoire de Neige raconte le quotidien d'enfants devenus la proie d'un violeur proche, utilisant son autorité pour abuser d'eux; et utilisant le chantage permanent pour obtenir le silence. Si tu parles, tu casses la famille; tu veux que tes frères et soeurs aillent à l'assistance publique ? Qui te croira ?
Neige SINNO rend évidente la question centrale du viol qui n'est pas sa nature sexuelle mais la question du pouvoir. Je suis violeur parce que je le peux; pas parce que j'ai des besoins sexuels inassouvis. A travers des anecdotes crues, Neige SINNO rend compte d'une réalité qui touche une terrible proportion d'enfants. Et comment il est impossible de s'en remettre complètement tant cette situation qui a été tolérée est ancrée dans le corps et le coeur des victimes.
Elle raconte cliniquement que sa mère a mis plus d'un an pour quitter son beau père temps d'assurer l'avenir de ses deux autres enfants... Elle raconte les témoignages de proches au procès pour venir dire que le violeur était un type bien sous tous rapports... à l'exception de celui-là... Elle raconte les excuses du violeur : je voulais obtenir son amour par ce biais car elle refusait de m'appeler papa... Elle raconte la sortie de prison et le pèlerinage à COMPOSTELLE, la rencontre avec une femme de 20 ans plus jeune qui accepta de faire 4 nouveaux enfants avec le violeur et l'école à la maison qu'ils mirent en place...
Elle raconte aussi que si le violeur n'avait pas avoué, le procès n'aurait pas eu lieu. Parole contre parole... Et nul ne sait expliquer pour quelle raison il accepta de reconnaître la majeure partie des faits. Peut-être simplement parce qu'il ne supportait pas que la plainte de la mère et de sa fille n'ait été déclenchée par l'unique souci qu'il ne recommence pas avec ses deux enfants "à lui" ? Et qu'il s'offusqua qu'on puisse le soupçonner d'une telle ignominie...
Neige SINNO raconte comment le violeur d'enfant agressa et menaça un homme plus âgé auquel elle "céda" volontairement au motif de leur différence d'âge. Le violeur parental avait le privilège du viol et s'érigeait en protecteur de la violée contre d'autres hommes.
Bien sûr on ne peut éviter et Neige SINNO ne l'évite pas, le parallèle avec Hannah Arendt et la "banalité du mal". Qu'il s'agisse de la prescription que certains veulent abolir en matière de viol comme en matière de génocide ou des multiples facettes de la personnalité du violeur comme du directeur de AUSCHWITZ, la question de l'imprescriptibilité et de l'insoutenabilité de ce comportement déviant est posée.
Vous avez sans doute lu les explications des violeurs de MAZAN selon lesquelles ils auraient été manipulés par le mari, vous avez sans doute constaté qu'ils étaient "comme vous et moi", vous avez entendu que l'excuse d'avoir été soi-même agressé était devenue commune même si elle n'est fondée sur aucune statistique fiable... Banalité du mal ou comment imaginer le moindre plaisir sexuel à pénétrer une femme inconsciente et à se faire filmer le faisant après avoir respecté un "protocole" fixé par le mari ? La question du pouvoir, dit Neige SINNO. Le pouvoir d'abuser d'une femme, de lui imposer une relation sexuelle, voilà la clé et voilà la seule explication qui vaille.
Et Neige SINNO renvoie à l'explication finale : ils le font simplement parce qu'ils le peuvent. L'effort littéraire qui irrigue le livre ne cherche pas à éluder les questions de fond qui du point de vue de la victime interrogent la société. Neige SINNO rappelle que les violeurs ne font jamais cet effort d'explicitation de leurs actes. Ils cherchent des excuses, ils parlent de leurs bons côtés, ils témoignent de leurs bonnes relations professionnelles, de leurs réussites sociales ou au contraire de leurs malchances dans la vie, de leurs engagements dans les clubs sportifs, etc.
Mais me revient à l'image la scène du viol de Maria SCHNEIDER lors du tournage du dernier tango à Paris : Brando et Bertolucci l'ont fait simplement parce qu'ils pouvaient le faire, l'imposer à une jeune actrice dont ils détruisirent la vie à cet instant précis. Le film éponyme "Maria" mérite que vous alliez le voir; il est comme un écho cinématographique au livre de Neige SINNO.
Le pouvoir du curé sur l'enfant de choeur, le pouvoir de l'entraîneur sur la gymnaste, le pouvoir du cinéaste sur la comédienne, le pouvoir du hiérarque sur son employée; situations tellement banales qu'elles expliquent l'importance statistique des viols à jamais enfouis.
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