Mesurer le bonheur ?
Depuis que le mouvement écologique existe, il critique le Produit Intérieur brut comme indicateur du progrès humain.
Une marée noire est bonne pour le PIB, mais est elle bonne pour l'homme et la nature ?
Poser la question est y répondre.
En lisant dans MEDIAPART que SARKOZY avait mis sous le boisseau la commission qu'il avait chargée de phosphorer sur de nouveaux indicateurs de bien être, j'ai découvert un site dédié à ces questions.
J'en extrais cette introduction de Dominique MEDA, dont le livre sur la valeur travail, dans la lignée d'André GORZ, m'avait beaucoup intéressé.
Propos introductifs de Dominique Méda au forum FAIR
Le forum FAIR s'est tenu le 30 mars 2009 au Conseil économique, social et environnemental.
L’objectif de cette journée est de vous présenter, de partager avec vous et de mettre en débat les idées que nous portons, individuellement et collectivement depuis maintenant presque une dizaine d’années autour de la remise en question du PIB comme indicateur central de richesse ou de progrès de nos sociétés. Quelle est la nature du progrès d’une société, qu’est-ce qui fait sa richesse, comment mesure-on celle-ci, au terme de quels processus les conventions qui permettent de le faire ont-elles été mises en place : ce sont toutes ces questions, sur lesquelles nous avons réfléchi et auxquelles nous avons tenté d’apporter des réponses que nous voulons maintenant partager avec vous. Les membres constitutifs de ce réseau qui organise cette journée sont venus à ces questions à partir d’intérêts et d’approches souvent différentes. Personnellement, je suis venue à la question de ce qui fait la richesse d’une société à partir de travaux antérieurs développés sur la place du travail dans la vie sociale et surtout sur la place relative de la production et des autres activités humaines dans la vie collective. Nous formons un groupe aux approches plurielles et aux points de vue diversifiés, nous ne sommes d’ailleurs pas d’accord sur tout, mais je voudrais justement revenir sur les étapes intellectuelles de la construction de notre réflexion, sur les convictions que nous partageons et sur les raisons de cette rencontre d’aujourd’hui.
1) La remise en cause du PIB et sa critique ne sont pas nouvelles, elles ont été notamment très développées dans les années 70, avec le rapport Meadows, les tentatives de nouveaux indicateurs de Tobin et Nordhaus, ou d’une équipe japonaise... Mais, il y a eu ensuite un grand trou dans la réflexion française sur ces questions, au moins sous cette forme un peu générale. A la fin des années 90, en écrivant « Qu’est-ce que la richesse ? », j’avais la très curieuse impression d’être anachronique, c’est-à-dire de ramener à la surface des questions qui avaient connu leur heure de gloire dans les années 70 (on pense à Illich, à de Jouvenel qui écrivait en 68, Arcadie, essai sur le mieux vivre, au très beau livre de Pierre Kende, l’Abondance est-elle possible ? qui date de 1971, à Gorz) mais qui n’étaient plus de mise, plus du tout d’actualité. Pourquoi ? Sans doute à la fois parce que les questions de quantité primaient sur les questions relatives à la qualité, et sans doute aussi parce que la domination de l’économisme était telle que l’idée même de revisiter les liens entre croissance et progrès était considérée comme taboue. Les années 80 et 90 ont sans doute été au plus haut point celles de la domination sans égale de l’idée que la croissance devait régler tous nos maux et donc que la grosseur du PIB était un proxy sans doute assez bon de la richesse, du progrès, du bien-être, de la santé…d’une société. Et donc des individus ou des petites communautés pouvaient bien être convaincus, chacun et chacune, que l’usage qui était fait du PIB était mauvais et que la vraie richesse n’était pas celle que représente le PIB, cette question n’a pas réussi à passer la barre médiatique pendant d’assez nombreuses années.
Il y a différentes façons de présenter les limites du PIB, sur lesquelles nous sommes désormais tous d’accord : il compte pour zéro des activités très importantes pour le bien-être social et individuel (par exemple il ignore les activités de soins, les activités domestiques, parentales, politiques, bénévoles, qui contribuent on le sait grandement à la reproduction de la société, à son maintien) ; il n’est pas affecté par les inégalités de répartition dans la participation à la production et dans la consommation ; il ne tient pas compte des dégradations apportées au patrimoine naturel à l’occasion de la production ou des activités humaines. Notre surconsommation des ressources naturelles et notre hybris, notre démesure ne laissent pas de trace sur notre comptabilité, parce que celle-ci n’est pas patrimoniale et donc qu’il est tout à fait possible qu’une opération de production fasse augmenter le PIB alors qu’elle s’accompagne de dégradations énormes parfois définitives de notre patrimoine naturel ou de notre santé sociale. Donc, d’une certaine façon, ce qui est le plus important, ce qui fait la cohésion de notre société ou ce qu’on appelle bien à tort l’environnement peuvent être de plus en plus dégradé à mesure que la production augmente sans qu’aucun indicateur ne nous en rende compte, ne nous alerte, ne nous fasse signe sur les risques que courent nos sociétés.
A la fin des années 90, en fait, sans que l’on en ait une vision bien claire et synthétique, commençaient à se développer des indicateurs sectoriels en France : le BIP 40 (baromètre des inégalités, Florence y reviendra) date de 1999, des tentatives d’indicateurs de développement durable se faisaient jour. Mais surtout, dès 1990 arrivait en France la série des Rapports Mondiaux sur le développement humain du PNUD – qui ont constitué pour moi une révélation car ils dessinaient des perspectives concrètes, ils donnaient des instruments permettant d’accompagner une nouvelle réflexion sur la richesse et la croissance. En effet, ils présentaient un nouvel indicateur, l’IDH, qui constituait une première tentative globale pour présenter une autre manière de classer les pays et de représenter le progrès. Avec un tel instrument, même encore limité, il devenait envisageable de changer d’indicateurs pour assoir de nouvelles politiques et pour se donner comme objectif non pas le concept purement opératoire de mondialisation mais bien celui de civilisation : développement humain, société civile administrant le droit d’une manière universelle, retour sur les Idéaux des Lumières.
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