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thierry billet

Dany, oh oui !

24 Septembre 2015 , Rédigé par Thierry BILLET

Dany COHN BENDIT dit les choses dans LE MONDE comme j'aimerais les dire depuis si longtemps. Et quand je lis ailleurs les larmes des -déjà- vieux crocodiles que sont Mme DUFLOT et M. PLACE sur leur caviardage commun (avant leur divorce) de l'espoir que représentait EUROPE ECOLOGIE, je me dis "Dany, merci pour l'espoir !".

Depuis des décennies, Daniel Cohn-Bendit incarne, en France, à la fois le bouleversement de la société soixante-huitarde et la transformation de l’Europe moderne. A 70 ans, retraité de la politique mais ultra-actif sur la scène médiatique et sociale, il revient sur ses utopies passées et la façon dont on mène le changement.

A quel âge vous êtes-vous intéressé à l’action collective ?

A l’adolescence, je suis entré dans un internat, la Odenwaldschule, à une cinquantaine de kilomètres de Francfort. C’était une pédagogie moderne, anti-autoritaire, où l’on pouvait passer son bac général et, en même temps, un brevet de mécanicien. C’est là que j’ai fait du théâtre. Je voulais jouer Puck, dans Le Songe d’une nuit d’été. Jouer, c’est une autre approche du monde. Mais il y avait surtout un parlement des élèves dont j’ai été le secrétaire puis le président.

Vous vous imaginiez donc déjà en leader politique ?

Pas comme un leader, mais je voulais démontrer une certaine capacité à représenter, sans forcément théoriser la chose… Mais j’ai tout de même organisé une campagne électorale au lycée.

Vous n’aviez pas de vision d’un futur ultramoderne, avec voitures qui volent et robots ?

Je n’ai jamais été amateur de science-fiction. Le monde futur collait pour moi à la réalité. Evidemment, j’ai attendu toute la nuit de voir Armstrong faire le premier pas sur la Lune, mais je me projetais surtout dans l’action collective. Par mon frère, Gaby, qui a neuf ans de plus que moi, j’avais déjà des contacts dans les milieux politiques. Dans mon internat, cependant, nous recevions une éducation réaliste : le parlement des élèves, c’est déjà un pragmatisme. C’est penser que l’on peut peser sur les détails, sur la vie quotidienne, agir collectivement pour changer son école. J’étais déjà un petit réformiste en herbe qui profitait de sa capacité d’entraîner.

Quand avez-vous commencé à vouloir changer le monde ?

Après mon bac, quand j’ai rejoint les milieux libertaires en France. Nous voulions l’autogestion, un changement radical, mais nous refusions absolument le pouvoir. Pour nous, changer le monde équivalait justement à « détruire toute possibilité de pouvoir ». D’une certaine façon, ceux qui veulent l’autogestion sont toujours les perdants de l’Histoire. Ce sont les marins de Kronstadt, les libertaires de la guerre d’Espagne, toujours des minorités. L’essai de Pierre Clastres La Société contre l’Etat (Les Editions de Minuit, 1974) m’a beaucoup marqué idéologiquement.

Il y avait d’un côté la radicalité du rêve et, en même temps, dès les débuts des mouvements à Nanterre, j’ai eu la volonté de rassembler. Depuis, c’est devenu une priorité politique pour moi. Réunir dans un mouvement commun réformistes et révolutionnaires, telle était mon utopie en 68 avec le Mouvement du 22 mars ou, en 2009, avec Europe Ecologie. Pour changer le monde, il faut savoir surmonter les postures contradictoires.

Pour être réformiste, il faut aussi être optimiste sur la nature humaine…

Juste après 68, j’ai été de ceux qui théorisaient l’aliénation dans la lignée de Jean-Jacques Rousseau : l’homme est bon, mais c’est la société qui en a fait un monstre, changeons le système et l’homme pourra s’accomplir dans toute sa valeur. C’est au milieu des années 1970 que je suis devenu plus proche de ce que disait Hannah Arendt : l’homme n’est ni bon ni mauvais par essence, mais une même personne peut être admirable ou abominable selon les périodes. Les juifs ou les réfugiés sont des victimes mais ils ne sont pas par essence des hommes bons et je ne veux pas simplement m’identifier avec des victimes. Je suis solidaire mais je veux rester lucide. L’utopie est le rêve nécessaire et la réalité le défi permanent. Je suis imprégné de cette philosophie qu’Edgar Morin a ensuite appelée la philosophie de la complexité.

Admettre la complexité, n’est-ce pas paralysant pour changer la société ?

Une révolution est un moment de changement violent, mais la désaliénation prend forcément du temps. C’est ce que les révolutionnaires n’ont pas compris ou pas voulu admettre. Ils ont une conception de l’homme qui suppose de lui imposer le changement d’en haut, « pour son bien ». C’est la quintessence du marxisme qui amène logiquement au parti bolchevique, seul à savoir ce qui est bien pour les autres. Mais il faut distinguer entre la révolution politique et la transformation de la société. Celle-ci est longue. Tenez la Révolution française. Elle a déclenché un processus de démocratisation qui a duré, avec des soubresauts, jusqu’en 1945 lorsque les femmes ont eu le droit de vote. L’important, c’est comment changer le monde et qui va le changer. Il faut être capable d’accompagner l’évolution des mentalités des citoyens. La révolution idéologique est un long fleuve plus ou moins tranquille qui, malheureusement, à certains moments, risque d’être victime de la sécheresse de la pensée.

Vous avez le sentiment que l’action politique peut faire changer les mentalités ?

D’un côté, beaucoup d’Allemands font aujourd’hui comme si l’Allemagne avait toujours été génétiquement une démocratie. D’un autre côté, l’Allemagne a changé. Belle ironie de l’Histoire, plus de 50 000 Israéliens vivent aujourd’hui à Berlin pour respirer en paix. Mais la réalité est que la démocratie s’est installée il y a soixante ans, après le choc énorme qu’a été le nazisme et la seconde guerre mondiale. L’effort de réflexion de l’Allemagne sur son histoire est admirable. Cela, c’est changer le monde !

Lorsque vous étiez élu à Francfort, avez-vous pu œuvrer à changer les mentalités ?

J’étais responsable de l’immigration à la mairie de Francfort lors de la première vague importante de réfugiés des années 1990. Nous devions accueillir pas mal de familles et, comme après la réunification, les Américains avaient diminué leur présence militaire et laissé des casernes vides, nous avions décidé d’y loger les arrivants. Une bonne partie de la population s’est mobilisée contre. Alors, j’ai organisé une réunion publique. J’avais à mes côtés un type de la CDU, un du SPD et le chef de la police. Tous les préjugés se sont exprimés sans fard jusqu’à ce que le policier explique : « La demande d’asile est un droit constitutionnel et nous allons le respecter. Mais bien sûr, nous serons là pour veiller sur votre sécurité. » Au bout de deux heures, tout le monde s’est calmé. Les gens n’étaient pas devenus enthousiastes, mais ils se sont dit : « Bon, il y a un projet… ».

Aujourd’hui, on parle des innovations techniques, mais on ne paraît plus croire dans le progrès moral humain. Vous, vous y croyez toujours…

Changer le monde, c’est croire en l’humanisation des mentalités. Le gouvernement allemand a annoncé que le pays devrait accueillir 800 000 réfugiés. Bien sûr, il y a des groupes fascistes qui protestent, qui agressent ou qui brûlent des centres d’accueil. Mais il y a aussi une énorme mobilisation de la société. L’autre soir, sur ZDF, la deuxième chaîne allemande, le présentateur Claus Kleber a raconté avec émotion comment un chauffeur de bus avait accueilli les réfugiés qu’il devait transporter par ces mots : « Pardonnez-moi, mesdames et messieurs du monde entier, je veux vous dire bienvenue. Bienvenue en Allemagne, bienvenue dans mon pays. Passez une bonne journée. » Une semaine avant, une présentatrice avait dit : « Ça suffit maintenant, nous devons nous mobiliser pour les réfugiés ! » Nous sommes dans un moment difficile, il faut essayer de dire la vérité et la vérité est qu’il va falloir les accueillir.

Le progrès n’est pourtant pas inéluctable et les sociétés peuvent aussi régresser. Les mouvements fondamentalistes religieux veulent aussi changer le monde mais en tournant le dos à la démocratie…

Si on prend au sérieux l’affrontement religieux, alors il faut détruire Daech. Mais dans la lutte contre l’intégrisme musulman, il faut garder en tête que nous n’avons pas le droit de perdre notre âme. On change le monde au nom d’un idéal, mais lorsque cet idéal est attaqué, comment le défend-on ? En remettant en cause nos libertés ? Sûrement pas. Laïques et religieux doivent trouver un compromis. Là c’est un athée convaincu qui vous parle : en paraphrasant Voltaire et Rosa Luxemburg, je dis aux religieux : « Je m’oppose à votre pensée et je défendrai toujours votre droit à croire » ; aux laïques : « Je partage votre pensée mais ne transformez pas la laïcité en religion » ; aux athées : « Seul Dieu, qui n’existe pas, sait si nous avons raison. » « Inch Allah. »

Comment imaginez-vous le monde dans cinquante ans ?

Dans cinquante ans, nous aurons une Europe fédérale, une gouvernance européenne, un budget européen !

Comme vous êtes optimiste !

Mais oui ! Si je vous avais prédit la chute du communisme en Europe de l’Est, en 1988, vous m’auriez cru fou. Je vous dis donc que dans la mondialisation qui va gagner encore, dans cinquante ans, l’Allemagne aura l’importance qu’a le Luxembourg et la France aura celle qu’a Malte dans l’Europe d’aujourd’hui. Notre projet de civilisation est-il de vivre pépère comme le Luxembourg et Malte ? Si on a un projet de civilisation, on ne peut le faire que par l’Europe. C’est en définissant le rêve que l’on définit la direction et en définissant la direction on peut réussir le changement.


En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/festival/article/2015/09/08/daniel-cohn-bendit-l-utopie-est-le-reve-necessaire-et-la-realite-le-defi-permanent_4749358_4415198.html#fMJrCVx08giIPhZu.99
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