A Strasbourg, Cohn-Bendit s’agite en coulisses
Avec le sous titre :
"Une journée avec l’eurodéputé écologiste : coups de gueule, présidentielle et primaire pour départager Nicolas Hulot et Eva Joly", MATTHIEU ECOIFFIER Envoyé spécial de LIBERATION rend compte d'une journée de Dany COHN BENDIT à STRASBOURG.
De quoi éclairer le débat qui anime EELV à propos des présidentielles (y aller ou pas ? Et si oui avec quel candidat ?) et plus généralement quel doit être son positionnement politique ?
En ayant marre d'attendre un jugement qui ne vient pas sur le point de savoir si nous avons l'autorisation d'adhérer à EELV, les quatre élus annéciens ont décidé d'adhérer.
Si les coupeurs de têtes gagnent, nous serons exclus.
Sinon nous resterons.
Mais si nous sommes virés, EELV aura trompé les électeurs d'EUROPE ECOLOGIE en RHONE ALPES et singulièrement en HAUTE SAVOIE.
EUROPE ECOLOGIE aurait alors été un feu de paille électoral que l'appareil des VERTS aura récupéré et non l'espoir collectif que les écologistes de tous poils avaient mis dans une rénovation de l'offre politique écologiste apte à nous faire entrer dans les exécutifs sur la base de programmes politiques structurés.
Certains anciens verts n'hésitent pas à regretter en réunions les scores à 5% qui donnaient moins de responsabilités...
C'est ce repli identitaire qu'il nous faut combattre à l'intérieur d'EELV... si nous y restons.
"On dit pouvoir juger un homme à ses chaussures. Mais cette règle s’applique-t-elle aux écologistes ? Mardi, Strasbourg : Daniel Cohn-Bendit arpente les couloirs du Parlement européen d’une étrange démarche chaloupée. A ses pieds, de drôles de chaussures aux semelles en forme de demi-lune. «Ça me fait faire de la gym en marchant et travailler la hanche après mon opération», confie le coprésident du groupe Verts. Sur son site, la marque assure : «L’effet positif des antichaussures MBT repose sur le principe de "l’instabilité naturelle".» La formule colle bien à la pratique politique de «Dany» comme à celle d’«Europe Ecologie» comme il dit, sans jamais ajouter «les Verts» au sigle adopté à Lyon cet automne lors de la fusion des deux formations.
A quinze mois de la présidentielle, la candidature d’Eva Joly se voit déstabilisée par l’hypothétique entrée en lice de Nicolas Hulot. Et l’ascension de Marine Le Pen fait ressurgir le spectre du 21 avril, conduisant Gaby Cohn-Bendit, son frère, à évoquer le retrait de la candidature écologiste. Dany n’en est pas là, même s’il reconnaît que «la présidentielle, c’est la merde pour nous». Pour en sortir, il propose d’organiser une primaire ouverte afin de départager Eva Joly et Nicolas Hulot.
10 h 30
La veille, les eurodéputés Verts ont demandé une réorientation des aides de l’UE vers la transition démocratique en Tunisie. En vain. «J’avais honte d’être membre de ce Parlement, incapable de trouver une résolution qui dise aux Tunisiens : "Bravo, on vous soutient", dénonce Cohn-Bendit devant la presse. Pourquoi ? Parce que le PPE [conservateurs] et le PSE [Parti socialiste européen] ont refusé. Parce que MM. Mitterrand, Chirac et Sarkozy sont les grands copains de Ben Ali», poursuit-il aux côtés de l’Allemande Rebecca Harms, la coprésidente du groupe.
Dans son bureau, un haut fonctionnaire du Conseil européen l’attend pour un bilan de la coopération avec le Parlement. «Ici, je suis comme un poisson dans l’eau», lâche Cohn-Bendit. Ce qui le fait frétiller? «Des initiatives avec certains socialistes et les libéraux pour renforcer les Etats-Unis d’Europe.» Loin de Paris et «des manigances organisationnelles» d’Europe Ecologie-les Verts (EELV). «Mon contrat avec EE est terminé. Je ne veux et ne peux plus jouer le rôle de catalyseur. Mais, je serai dedans, je peux participer à des débats et soutenir Eva [Joly].»
12 heures
Noyée parmi les 700 eurodéputés, la bande des quatorze écologistes élus en 2009 vote à main levée. Assis dans l’hémicycle par ordre alphabétique : José Bové, le leader altermondialiste à côté de Jean-Paul Besset, proche de Nicolas Hulot, Eva Joly et Yannick Jadot, ex-Greenpeace. La veille au soir, comme tous les lundis de session, ils ont dîné autour de la candidate déclarée d’EELV. «Il y avait Jadot, Besset et Dany, c’est-à-dire les directeurs de campagne de Joly, Hulot et DSK», plaisante un convive en allusion aux lauriers tressés par Cohn-Bendit au directeur du FMI. «Avec ses interventions, Dany nous fait du mal, il torpille la candidature d’Eva», se désespère un dirigeant d’EELV. L’intéressé le sait, mais n’en a cure : «Beaucoup de gens me disent : "Vas-y ! Mais si tu n’y vas pas, ferme ta gueule !"» Il dit n’avoir aucun regret. Un ami allemand l’a invité à demander la nationalité française. Il a refusé. «Ma nationalité, c’est mon vaccin contre le virus de la présidentielle. Il est si fort et violent, et te grise tellement !» A ses côtés, Jadot et Besset, qui poussent chacun leur candidat, rient jaune.
12 h 45
En sortant de l’hémicycle, il tombe sur Jean-Luc Mélenchon. «Dis donc toi, tombe la veste ! s’échauffe l’eurodéputé du Parti de gauche. J’en ai marre que vous disiez que je ne fous rien ici. Les séances que je rate, c’est pour être à des manifs», s’énerve celui que Cohn-Bendit accuse de «labourer sur les terres du FN».«Je suis un socialiste républicain et jacobin», fulmine-t-il encore, le poing en avant. «Mais, c’est vrai que tu ne fous rien !» réplique Dany, à l’abri de la haute stature de Jadot. Une élue fait diversion. Mélenchon tourne les talons.
Les trois écologistes enchaînent sur la montée du populisme. De Geert Wilders aux Pays-Bas à Marine Le Pen. Besset et Jadot jugent «prématuré» le débat sur le retrait de la candidature écologiste. «Attention aux prophéties autoréalisatrices ! Si tu entres dans la logique de front républicain, tu stigmatises Le Pen et tu la renforces», argue Jadot. Besset acquiesce : «Nous voulons une candidature écologiste pour sauver la droite et la gauche de la tentation du national-populisme.» Cohn-Bendit opine, mais prévient : «Si l’extrême droite monte trop, une partie de notre électorat tranchera à notre place» et votera pour le PS dès le premier tour. Ils tombent d’accord pour évaluer la situation «trois mois avant» le scrutin de 2012.
13 h 20
Quand on parle du loup. Au restaurant des élus, nappes blanches et larges baies vitrées, les eurodéputés Bruno Gollnisch et Jean-Marie Le Pen, visages cireux, déjeunent à la même table. Cohn-Bendit casse la croûte avec un Verts belge. Et s’adonne à son sport favori : «Marine Le Pen a besoin d’une défaite de Sarkozy pour mettre le FN au cœur de la recomposition de la droite. Car en 2017, Copé ne pourra gagner qu’avec elle.» Mais quid de la candidature écologiste ? «L’argument le plus bête, c’est : "Si tu n’es pas à la présidentielle, tu n’existes pas." Les écolos ont fait 3% avec Voynet et Bové en 2007. Avec son pacte, Hulot a eu plus d’impact. Et ce qu’on a fait aux européennes a été plus déterminant.» Il moque le «revival gauche plurielle de Voynet» dans une récente interview à Libération, le 13 janvier. «Elle ne dit à aucun moment que des ministres écolos sans groupe charnière au Parlement cela ne sert à rien !» Et dénonce les «conseils morbides» prodigués par Cécile Duflot et Dominique Voynet à la candidate Joly. «Faut qu’Eva s’impose dans un espace autonome.»
16 heures
Cohn-Bendit retrouve Joly et l’eurodéputée (EELV) Hélène Flautre à une audition d’opposants de Ben Ali, en direct de Tunis, via Skype. L’ancienne juge lui propose d’embarquer dans l’avion qu’elles doivent prendre la semaine prochaine pour la Tunisie. «Ça fait longtemps que tu n’as pas vécu de révolution», moque-t-elle.
Entre Joly et Hulot, Cohn-Bendit refuse de choisir : «Ce sont tous deux de bons candidats, atypiques. Jamais Nicolas ne sera aussi crédible qu’Eva sur l’impartialité de l’Etat et la justice sociale. Même si dans l’argumentaire écolo stricto sensu, il exprime plus de choses.» Il a eu longuement l’animateur d’Ushuaïa au téléphone. «Mon sentiment, c’est qu’Hulot ferait une campagne très "alternative écologiste". Cela te place de facto contre la droite et interroge la gauche. Si tu arrives à te positionner comme ça, c’est une grande force», juge-t-il. La popularité de Hulot le fait saliver. Moins le flou de son ancrage politique. Pour propulser le débat, l’ex-leader de Mai 68 dégaine une proposition : «Organiser une grande primaire du peuple de l’écologie entre Hulot et Joly, à l’appel d’EELV, mais aussi de France Nature Environnement, de Greenpeace, etc. Avec quatre grands débats dans quatre régions retransmis sur Internet.»
17 h 30
Cohn-Bendit s’énerve : deux ascenseurs ont été réquisitionnés pour Viktor Orbán. Le président hongrois de l’UE a rendez-vous avec lui. «See you later», lui lance Dany. Qui lui demandera en vain de renoncer à sa loi liberticide sur les médias. «Si tu écris un article pas équilibré, c’est 30 000 euros d’amende. On est dans un monde de fou !» balance-t-il. En oscillant sur ses chaussures.