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thierry billet

Le grand enfumage

9 Février 2022 , Rédigé par Thierry BILLET

Le démographe Hervé LE BRAS présente dans LE MONDE du 2 février son analyse du vote d'extrême droite dans 7 pays de l'union européenne sous le titre "le grand enfumage", en réplique à l'antienne du "grand remplacement" chère à l'extrême droite. Ce qu'il démontre est précieux : il n'y a aucune corrélation géographique entre la présence d'immigrés et le vote raciste.

4,4% d'immigrés dans l'AISNE et 35,7% de vote pour le F-HAINE alors que dans le 93, 30,6% d'immigrés et 13,6% de votants pour les fascistes. Partout en EUROPE, le vote d'extrême droite est un vote des petites communes et des zones rurales. Ce paradoxe qui fait que ce n'est pas la fréquentation de nombreux immigrés qui induit le vote raciste nécessite de donner une autre explication à cette perversion démocratique. LE BRAS pense qu'elle se trouve dans le mécontentement de certains territoires à l'égard du pouvoir central. D'autres études pointent la crainte du déclassement quand les difficultés économiques s'amoncellent et qu'on craint de "tomber encore plus bas", certains peuvent croire s'en protéger en accablant plus pauvre que soi, celui-là même que l'on ne veut pas devenir.

A propos du "grand remplacement", LE BRAS rappelle qu'aucune projection statistique, même la plus favorable à la thèse fasciste, ne valide un tel scénario. "On est dans un fantasme entretenu par le mépris des statistiques qui est inséparable du populisme pour qui, systématiquement, le cas particulier devient le cas général." Ajoutez-y le biais de confirmation qui fait croire plus volontiers aux informations qui confirment notre idéologie personnelle, et on arrive à admettre un raisonnement chose qui est faux. "Mais pas si faux puisque j'ai vu une femme voilée hier au marché" répondra la petite voix intérieure de celui qui ne lira pas cet article et ne voudra pas remettre en cause sa conviction infondée.

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Exterminez toutes ces brutes

7 Février 2022 , Rédigé par Thierry BILLET

Le cinéaste d'origine haïtienne Raoul PECK propose sur arte.tv une fresque historique implacable sur les génocides perpétrés aux Etats-Unis sur les indiens ou en Afrique par les colonisateurs notamment belges et allemands et sur la manière dont leur justification idéologique commune a fondé l'idée d'une suprématie de l'homme blanc qui pouvait de ce fait s'arroger le droit de vie et de mort sur les autres couleurs de peau. L'appropriation de cette vision de la supériorité d'une "race blanche" par les nazis à l'égard des juifs, des tziganes, des handicapés, ne révèle pas pour PECK d'une nature différente. Ce sont les mêmes mécanismes justificatifs de l'autorisation que se donne une élite autoproclamée  de disposer de la vie d'autres humains qu'il s'agisse des Sioux désarmés massacrés à Wounded Knee, des Herrero exterminés par l'armée allemande en Afrique au début du 20° siècle, ou de la Shoah. A chaque fois, il faut faire disparaître ceux que l'on ne veut plus voir au nom d'une différence insupportable. Mais cette différence est à chaque fois inventée, montée en épingle, et vise prosaïquement à profiter des ressources détenues par ces autres humains : leur terre, leurs mines, leurs forces de travail. Quelle "différence" dites-moi entre un Hutu et un Tutsie ? Et à SREBRENICA quelle différence inacceptable entre des voisins qui vivaient dans le même village peut expliquer le massacre ? 

Ce que montre PECH, c'est ce qu'Hannah Arendt a appelé "la banalité du mal"; la transformation insidieuse d'hommes "normaux" en bourreaux grâce à la manipulation des peurs d'un groupe transformée en crainte des étrangers, puis en extermination de ceux-ci; ce qui assurera immédiatement un monde meilleur. On vit, avec la théorie imbécile du "Grand Remplacement", la même manipulation terrible. Rien ne vient la confirmer sur le plan statistique; mais elle entretient habilement la peur du déclassement que vivent de nombreux français confrontés à une mondialisation qui leur échappe. Et plutôt que de demander une meilleure répartition des richesses aux puissants, il est plus facile de se retourner contre plus fragile que soi. La solidarité demande un effort, celui d'aller vers l'autre et de chercher à le comprendre. L'exécration demande juste de la lâcheté. C'est pour cela que la "bête immonde" ne meurt jamais. 

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Comment ne pas être écologiste ?

6 Février 2022 , Rédigé par Thierry BILLET

Je me demande régulièrement pour quelle(s) raison(s) l'écologie m'a attiré au point d'en faire l'engagement de toute ma vie. Je ne suis pas un naturaliste, je ne suis pas un biologiste. Les arbres ne me parlent pas. Je ne connais pas les noms des animaux ni leur mode de vie. Je ne trouve pas les champignons et je n'ai pas envie de les chercher. Je mange de la viande avec plaisir. Pour autant le sort des écosystèmes est mon moteur politique.

J'enrage devant les marées noires d'hier et d'aujourd'hui, les accidents nucléaires à répétition, le massacre des zones humides. Je me réjouis à chaque nouvelle passe à poissons réouverte, à chaque nouvelle éolienne, au moratoire sur la pêche de la baleine, ... Pour autant, mon émotion, celle qui fonde l'engagement,  est globale, sans doute fondée sur l'idée que je suis redevable à cet écosystème-là.

Que ma qualité d'être humain, tout en haut de la chaîne de l'évolution, me donne (nous donne...) une responsabilité première, incontournable, imprescriptible de le sauvegarder en suivant Hans JONAS et "le principe responsabilité" : Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre.

Dès lors, si l'on accepte cette responsabilité, comment ne pas être écologiste ? Et quelle vie frappée du sceau de l'égoïsme ou du cynisme pourrait être fondée sur un principe d'irresponsabilité à l'égard de l'avenir de la planète ?

L'ami Yves PACCALET, en forme de provocation de la part d'un humaniste, avait publié "L'humanité disparaîtra, bon débarras" mais toute sa vie aura été consacrée à protéger la planète. Le principe d'irresponsabilité nécessite au contraire d'Yves de se cacher derrière les boites d'allumettes que sont l'incompétence, la mauvaise foi, le double langage, les vains refuges des hymnes au progrès... petit exercice : écoutez les candidats aux Présidentielles et classez les entre les deux catégories... L'irresponsabilité a encore de beaux jours devant elle. 

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De la boyauderie à la vaccination obligatoire et retour chez ORPEA

3 Février 2022 , Rédigé par Thierry BILLET

C''est arrivé à cause d'une déclaration de maladie professionnelle. Une "leptospirose ictèro hémorragique". La maladie professionnelle des égoutiers quand ils sont en contact avec les déjections des rats dans les égouts. Sauf que ce n'était pas un égoutier qui était malade...

Mais un employé d'une boyauderie dans l'abattoir municipal d'une ville moyenne du Nord de la France.

Les faits sont prescrits, mais l'anecdote me revient en mémoire à chaque fois que l'association L 214 documente une maltraitance animale dans un abattoir; maltraitance qui a échappé aux vétérinaires en charge de ces contrôles. (cf. mon article d'hier sur l'effectivité du droit)

Et donc me voilà en quête des raisons de cette exposition aux déjections de rats dans un abattoir. Trouver l'atelier de boyauderie, rencontrer la patronne, me heurter à un foetus de veau en plein milieu de l'atelier, faillir dégobiller illico et ne m'en empêcher qu'en sortant en urgence à l'air libre pour que la dame me raconte qu'évidemment c'est plein de rats, ce qui est tout à fait normal puisqu'elle utilise des stocks de gros sel pour ses boyaux et que les rats adorent ça... Alors forcément  c'est logique d'attraper une leptospirose... Il fallait que le salarié fasse attention, c'est tout.

Il existe un vaccin contre la leptospirose. Il n'était pas administré aux employés des entreprises de l'abattoir. Alors comme je ne pouvais pas supprimer les rats, j'ai fait prendre par le directeur départemental du Travail une "mise en demeure" de faire vacciner tous les employés. Procédé juridique rarissime mais qui, à l'époque, ne suscita aucune réaction négative, ni des patrons, ni des salariés. Bien au contraire.

C'est l'article R 4721-1 du code du travail 

La mise en demeure du directeur (...) peut être adressée à l'employeur lorsque la situation dangereuse créant un risque professionnel trouve son origine, notamment : 1° Dans les conditions d'organisation du travail ou d'aménagement du poste de travail ; 2° Dans l'état des surfaces de circulation ; 3° Dans l'état de propreté et d'ordre des lieux de travail ; 4° Dans le stockage des matériaux et des produits de fabrication.

Les outils juridiques existent encore faut-il les utiliser; et pour cela ne pas se boucher les yeux et enquêter.

Au fait, les réponses d'ORPEA ne sont pas du tout satisfaisantes nous dit la Ministre : des contrôles vont être diligentés partout. Par ceux qui n'ont rien vu jusque là ? Par ceux qui ont enterré les rapports qui leur sont parvenus ? Par ceux qui n'ont pas écouté les représentants du personnel ? Par ceux qui ont toléré la course aux profits dans un domaine où les alertes n'ont pas manqué ? . Lisez ci-dessous l'article de Véronique Lefevre des Noettes qui retrace l'historique des alertes depuis une enquête "flash" (déjà !) de 2017 déclenchée par Mme BUZIN sans aucune suite.

De quoi décourager toutes les bonnes volontés des agents de terrain confrontés à l'hypocrisie de nos ministres.

 

 

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ORPEA et l'effectivité du droit

2 Février 2022 , Rédigé par Thierry BILLET

Depuis mon entrée à l'inspection du travail il y a 40 ans, la question de l'effectivité du droit me taraude. Kezaco, direz-vous ? Et bien en d'autres termes, c'est la mesure de l'écart entre le vote d'une loi et son application effective. Il est en réalité couramment possible de ne pas appliquer la législation sans prendre de véritable risque d'être condamné. 

L'effectivité d'une loi exige que son application soit contrôlée de manière efficace. Chaque scandale médiatique lié à une enquête journalistique ou à un lanceur d'alerte est la preuve que le contrôle n'a pas eu lieu. 

L'affaire ORPEA est la dernière révélation de cette carence. Comment un journaliste indépendant a t'il pu découvrir seul avec ses petits moyens de telles pratiques du plus grand groupe français gérant des établissements pour personnes âgées ? Comment cela a t'il pu échapper aux agences régionales de santé et aux conseils départementaux qui doivent contrôler les établissements notamment sur la question des coûts ? Comment le nombre de couches utilisées par exemple par établissement et qui doit bien apparaître budgétairement n'a t'il attiré l'attention de personne ? Comment les marges affolantes du groupe ORPEA n'ont-elles pas intrigué les ARS et les conseils départementaux ? Alors que tout le budget est sujet à négociation avec les tutelles qui discutent des lieux d'implantation des établissements, de leurs budgets, de leurs transferts dans une autre localité, etc. 

Bref, l'annonce de contrôles "inopinés" et la convocation du patron par la Ministre sont simplement la preuve que les contrôles n'ont pas eu lieu quand ils auraient dû avoir lieu. 

A cela deux raisons : le manque de moyens, le sabotage politique

Le manque de moyens car la réduction des effectifs des corps de contrôle (que Mme PÉCRESSE veut encore accentuer à coup de 200 000 fonctionnaires en moins) empêche un contrôle sérieux.

L'exemple des installations classées pour la protection de l'environnement au regard du nombre d'inspecteurs dans les DREAL est patent. L'Etat ne publie plus de données statistiques sur leur activité. Je trouve juste cette comparaison dans "actu-environnement" : les fonctionnaires auraient effectué 18.196 inspections en 2018, un chiffre en baisse constante depuis 2006 où le nombre d'inspections s'élevait à 30.000.  Je n'ai rien trouvé de plus récent. Qui parierait que les inspections environnementales ont augmenté depuis ?

Quand on voit comment TUMBACH est passé à ANNECY entre les mailles du filet depuis des décennies et vient seulement d'être condamné a minima par le Tribunal correctionnel en 2020 après un non lieu en ... 2006.

La Droite, en réduisant drastiquement le nombre de fonctionnaires de contrôle et en charcutant les modes de fonctionnement (comme la noyade de l'inspection du travail dans un magma administratif incompréhensible) au nom de " la libération de l'économie", marque une volonté politique de laisser faire dont elle s'offusque ensuite lorsque, par hasard, un citoyen ou une association arrivent à mettre sur la place publique une situation illégale. Alors branle-bas de combat, on convoque, on proteste, on enquête, le temps que les médias se lassent et que l'on puisse revenir au statu quo ante. 

Mais insidieusement, ces réductions d'effectif et les crédos libéraux ont une autre conséquence : la démobilisation des fonctionnaires qui restent et dont l'action n'est plus saluée comme la garante d'un ordre public respectueux des citoyens et de la Loi; mais comme celle d'emmerdeurs ou de "cowboys". Dès lors, contrôler n'est plus une mission utile au service de tous, mais devient une menace pour sa propre intégrité morale ou physique. Alors, on contrôle moins, on n'y va jamais tout seul pour le cas où il y aurait un problème, et tout ceci dégrade encore plus l'efficacité du contrôle et donc l'effectivité du droit. 

Ceci me rappelle un souvenir. A la suite d'un contrôle de nuit chez un gros industriel à AMIENS, et qui avait suscité une cabale judiciaire à mon égard, mon directeur - soucieux que son service n'attire aucune vague - m'avait dit "Mais qu'est-ce que vous alliez y faire la nuit ?". Et oui, qu'allais-je y faire ? Sinon mon travail. De ce travail justement, j'aimerais vous parler désormais dans les prochaines livraisons de ce blog. 

 

 

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D’où vient l’obsession identitaire de la politique française ?

1 Février 2022 , Rédigé par Thierry BILLET

Merci au travail exceptionnel des universitaires de "THE CONVERSATION" pour leurs analyses dans tous les domaines de la connaissance. Cet article sur l'obsession identitaire qui serait devenue grâce à la complaisance médiatique à l'égard de ZEMMOUR  le seul sujet préoccupant les français en 2022, mérite qu'on s'y arrête.

D’où vient l’obsession identitaire de la politique française ?
Mathias Bernard, Université Clermont Auvergne (UCA)

En ce début de campagne présidentielle française, le débat politique s’est surtout focalisé sur les thématiques identitaires, aux dépens d’autres sujets qui, tels la crise sanitaire ou l’urgence climatique, semblaient pourtant davantage correspondre au contexte de l’élection. Cette obsession identitaire est l’aboutissement d’un processus séculaire, au cours duquel le concept d’identité s’est progressivement imposé d’abord au sein de l’extrême droite intellectuelle, puis plus largement dans l’ensemble du champ politique.

La problématique de l’identité nationale n’a pas toujours été l’apanage de l’extrême droite. Tout au long du XIXe siècle, l’idée de Nation a été portée par les forces révolutionnaires et démocratiques. En France, elle a accompagné la construction de la République, autour d’une idéologie intégratrice et universaliste. Comme l’a souligné l’historien Raoul Girardet dans une étude pionnière, c’est au moment de la crise boulangiste et plus encore de l’affaire Dreyfus, au tournant des XIXe et XXe siècles, que le nationalisme français se transforme et bascule à droite, voire à l’extrême droite. La Nation française est alors perçue comme une réalité menacée aussi bien par des forces extérieures (l’Allemagne) que par les ennemis de l’intérieur : les Juifs, les étrangers, les francs-maçons.

Un thème émergeant progressivement à l’extrême droite

L’œuvre d’une nouvelle génération d’intellectuels, marquée notamment par Maurice Barrès et Charles Maurras constitue le socle idéologique de forces politiques d’extrême droite qui, tout au long du XXe siècle, défendent la France contre les ennemis qui l’assaillent et contestent le parlementarisme républicain et le modèle de la démocratie libérale.

Les ligues nationalistes qui, le 6 février 1934, manifestent à proximité de la Chambre des députés pour protester une République inefficace et corrompue entendent rendre « la France aux Français ». La Révolution nationale, lancée en 1940 par le régime du maréchal Pétain, entend restaurer, à l’ombre de l’Allemagne nazie, une identité française intemporelle et en grande partie fantasmée, marquée notamment par le catholicisme et la ruralité. Les compromissions de la collaboration jettent durablement l’opprobre non seulement sur le régime de Vichy, mais aussi sur l’extrême droite et les thématiques nationalistes et identitaires dont elles se réclament. La sensibilité nationaliste est alors récupérée par le gaullisme, qui en développe une version compatible avec les valeurs de la République et confiante dans la grandeur de la France.

C’est lorsque décline le gaullisme historique, à la fin des années 1960 que l’extrême droite identitaire réapparaît, dans le champ intellectuel d’abord. Elle s’appuie sur le sentiment d’un déclin de la France, marqué notamment par la perte de son empire colonial et le risque d’une dilution dans une Europe de l’Ouest dominée par les États-Unis. Elle exploite également l’angoisse suscitée par la mondialisation des flux économiques et migratoires. Structurée autour d’organisations intellectuelles (comme le GRECE, créé en 1969) et de groupuscules politiques (Ordre Nouveau, également créé en 1969), cette extrême droite entend défendre l’identité française, en rappelant l’enracinement des individus dans une communauté nationale elle-même inscrite dans une civilisation européenne millénaire, menacée notamment par l’immigration arabo-musulmane.

C’est sur ce socle idéologique que s’appuie le Front national, créé en 1972 par Jean‑Marie Le Pen qui, significativement, remet à l’honneur l’épithète « national ».

Le Front national en caisse de résonance

Pendant les dix premières années de son existence, le Front national (FN),ne parvient d’abord pas à sortir de la situation marginale dans laquelle semble cantonnée l’extrême droite française depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est à l’occasion des élections européennes de 1984 qu’il s’impose sur la scène politique, en recueillant près de 11 % des voix.

Cette progression soudaine s’inscrit dans un contexte de crise politique et sociale, marquée notamment par l’avènement du chômage de masse, la désindustrialisation, le fossé grandissant entre les catégories populaires et les élites politiques. Le FN parvient à capter les inquiétudes provoquées par cette crise en faisant de l’immigration le point de cristallisation des difficultés françaises. L’immigration est responsable à la fois de l’insécurité, symbolisée notamment par les violences qui embrasent les banlieues à partir de « l’été chaud » de 1981, et du chômage : en 1978 déjà, le FN lançait une grande campagne d’affiche autour du slogan « 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop », slogan qu’il actualise en 1982 en portant le chiffre à 3 millions de chômeurs et d’immigrés…

Les discours du FN exploitent alors de façon quasi obsessionnelle le péril de l’immigration, en recourant volontiers à des provocations. Jean‑Marie Le Pen prophétise ainsi, en janvier 1984 :

« Demain, les immigrés s’installeront chez vous, mangeront votre soupe et coucheront avec votre femme, votre fille ou votre fils ».

Le succès de ces diatribes hostiles à l’immigration conduit le FN à développer de façon cohérente une thématique à la fois identitaire et populiste, nourrie notamment par les travaux du Club de l’Horloge. Ce think tank qui, depuis les années 1970, relaie les réflexions de la Nouvelle Droite au sein de la droite modérée fournit d’ailleurs au FN une nouvelle génération de dirigeants, notamment Bruno Mégret, numéro 2 du parti à partir de 1988. Mégret lance en 1989 la revue Identité et présente en 1991 « cinquante mesures pour régler le problème de l’immigration » et met en exergue la notion de « préférence nationale » qu’il entend d’ailleurs appliquer dans la ville de Vitrolles dont sa femme est élue maire en 1997.

Son exclusion du FN, en 1998, relègue au second plan ces thématiques identitaires, au profit de la rhétorique plus tribunitienne de Le Pen. De nouveaux groupes d’extrême occupent alors l’espace politique ainsi libéré, tel le Bloc identitaire, créé en 2002.

Une extension vers l’ensemble du champ politique

Jusqu’au début du XXIe siècle, le thème de l’identité nationale reste malgré tout marginal dans le champ politique français et se cantonne à l’extrême droite.

Au cours de l’élection présidentielle de 2002, les débats se focalisent d’abord sur la souveraineté nationale, défendue par Jean‑Pierre Chevènement à la tête de son « pôle républicain » qui regroupe les souverainistes de gauche et de droite en vue de défendre l’indépendance et les valeurs de la République française, puis celui de l’insécurité, dont s’emparent ceux qui se combattront au second tour (Jacques Chirac et Jean‑Marie Le Pen).

Cinq ans plus tard, Nicolas Sarkozy fait de la création d’un ministère de l’immigration et de l’identité nationale une proposition emblématique – et particulièrement clivante – de sa campagne, autour de laquelle vont devoir se positionner ses concurrents, y compris la socialiste Ségolène Royal. L’immigration s’inscrit dans une thématique plus large, la question identitaire, qui permet à Sarkozy d’attirer plus du tiers des électeurs habituels du Front national et de remporter l’élection.

Une banalisation de la question identitaire

Cette banalisation de la question identitaire s’explique par de multiples facteurs. La montée du terrorisme islamiste, marquée par des vagues successives en France (en 1985-1986 d’abord, puis au milieu des années 1990 et enfin à partir de 2012), a déplacé les termes du débat politique sur l’immigration. Ce qui est en jeu, ce n’est plus le chômage des « Français de souche » ou leur sécurité au quotidien, c’est bien l’intégrité d’une identité française, façonnée par le christianisme et menacée à la fois par le terrorisme islamiste et par un communautarisme d’origine religieuse qui s’exprime publiquement, depuis « l’affaire du foulard » porté à l’école par des jeunes lycéennes à Creil en 1989.

La lutte contre cette double menace, terroriste et communautariste, permet à la thématique identitaire de dépasser le cadre de l’extrême droite et de nourrir de nouvelles thématiques : la laïcité, devenue le point central d’un modèle républicain qui intègre l’ensemble des particularismes dans une communauté nationale une et indivisible ; et l’affirmation de la fierté d’être Français, que Nicolas Sarkozy exprime en promouvant une conception de l’histoire qui réconcilie les Français avec le « roman national », loin de tout sentiment de repentance, notamment par rapport au passé colonial de la France.

Les attentats de 2015 n’ont fait que renforcer cette polarisation sur les thématiques identitaires, même s’ils n’entraînent pas forcément une radicalisation de l’opinion publique. Le Front national dépasse 27 % des voix aux élections régionales de décembre 2015. Le président de la République François Hollande propose alors la déchéance de nationalité pour les personnes condamnées pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la nation. Certains refusent toutefois de céder à cette surenchère.

Lors des primaires de la droite et du centre, en 2016, Alain Juppé fait campagne sur « l’identité heureuse ».

Quant à Emmanuel Macron, il est élu en 2017 contre Marine Le Pen, sur un projet délibérément européen et tournant le dos au nationalisme.

L’influence de la mouvance identitaire

Même si elle marque un coup d’arrêt à la progression électorale du Front national, la victoire d’Emmanuel Macron ne met pas fin à l’activité d’une mouvance identitaire, très présente sur les réseaux sociaux. Esquissée dès le milieu de l’année 2021 et annoncée officiellement fin novembre, la candidature présidentielle de l’essayiste Eric Zemmour récupère les principales propositions du Front national des années 1990 devenu Rassemblement national en 2018, (arrêt de l’immigration et du regroupement familial, préférence nationale, abrogation du droit du sol), en en faisant les éléments clefs d’un combat pour la civilisation. Le nom qu’il donne à son mouvement, Reconquête, fait d’ailleurs explicitement référence à la Reconquista de l’Espagne arabo-andalouse par les catholiques, à la fin du Moyen-âge. L’historien Laurent Joly a d’ailleurs démontré qu’Eric Zemmour falsifie l’histoire de la France au service d’un nationalisme ethnique et identitaire qui renoue avec la Révolution nationale du maréchal Pétain.

Le succès médiatique de la candidature d’Eric Zemmour montre l’influence d’une culture politique qui mêle défense de l’identité nationale, crainte de l’étranger et plus particulièrement du musulman, hantise du déclin voire de la dilution de la nation française et de la civilisation européenne. On retrouve ces thèmes dans le discours du Rassemblement national et, de façon plus atténuée et moins homogène chez Les Républicains ou même dans la mouvance macroniste, comme en témoignent notamment les propos de plusieurs ministres (Gérald Darmanin, Jean‑Michel Blanquer, Frédérique Vidal) contre « l’islamo-gauchisme ». Cette évolution est l’un des symptômes de la droitisation du champ politique et de l’opinion publique française depuis le début du XXIe siècle.The Conversation

Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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