LES DÉCODEURS du MONDE commentent utilement une interview d'Elisabeth BORNE sur la qualité de l'air où elle affirmait qu'un gros 4 x 4 neuf "ne pollue pas"; ce qui conduisait à une remarque incrédule d'un journaliste de FRANCE INFO doutant de cette déclaration. Voici le décodage du MONDE et bravo encore à leur travail ! Ne confondez pas pollution de l'air et neutralité carbone. Un 4 x 4 émet peu de polluants, mais beaucoup de gaz à effet de serre. Rien ne vaut le vélo, le bus ou la marche à pied.

POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ

1. Les vignettes Crit’Air évaluent un certain type de pollution : Pour bien comprendre cet échange, il faut comprendre comment fonctionne le système des vignettes Crit’Air. Cette certification classe les véhicules dans six groupes en fonction de leurs émissions de polluants atmosphériques – et non uniquement sur leur année de mise en circulation, même s’il existe une corrélation entre les deux. Elle se base sur le type de carburant du véhicule, ainsi que sur sa norme Euro (inscrite sur la carte grise). Le meilleur niveau est Crit’Air 0, réservé aux véhicules 100 % électriques et hydrogènes. Or, la norme Euro ne prend en compte que certains types de polluants émis : les particules fines, les oxydes d’azote, le monoxyde de carbone… Tous ont des effets nocifs sur la santé humaine, c’est pourquoi il est impératif d’en diminuer la concentration dans les zones denses, autant en cas de pic de pollution que tout au long de l’année. Santé publique France estime que la pollution de l’air est actuellement responsable d’environ 48 000 décès prématurés par an en France.

2. Sur ces critères, un 4x4 peut être considéré peu polluant : S’il y a un lien entre l’année de mise en circulation des véhicules et le niveau de classification Crit’Air, c’est parce que les normes européennes se sont durcies au fil des années. Les véhicules récents respectent donc théoriquement des exigences supérieures sur ce plan – du moins, dans les conditions des tests de conformité. Dès lors, on peut donc bien considérer qu’un véhicule 4x4 récent, commercialisé par exemple en 2018, rejette moins de particules fines que, par exemple, une voiture mise en circulation avant les années 2000.

3. Mais ce n’est pas valable pour les émissions de CO2 : Cependant, on ne peut pas aller jusqu’à dire que les 4x4 récents ne polluent « pas », comme l’a fait Elisabeth Borne. Les certifications Crit’Air ne tiennent pas compte de certains autres types de polluants, comme les émissions de dioxyde de carbone (CO2). Ce dernier est pourtant l’un des principaux gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique. Les émissions de COfont l’objet d’une classification parallèle, qui va de A pour les mieux notées à G pour les plus émettrices. Là où le débat se complique, c’est qu’il existe en fait tout un éventail de situations possibles, qui va jusqu’à l’existence de véhicules récents répondant aux standards du Crit’Air 1, mais ont une note de G en termes d’émissions de dioxyde de carbone. Prenons l’exemple de trois véhicules :

  • Une Jeep Grand Cherokee à essence, qui bénéficie de la vignette Crit’Air 1 grâce à sa norme Euro 6, mais est classée « G » en émissions de CO2, car elle émet 304 g de COpar kilomètre.
  • Une nouvelle Citroën C1 à essence, elle aussi classée Crit’Air 1, mais qui est classée « A » en ce qui concerne le dioxyde de carbone, car elle en rejette près de quatre fois moins que la Jeep Grand Cherokee (88 g/km).
  • Un modèle de Citroën C1 à essence de 2006, classé Crit’Air 2, mais qui émet pourtant sensiblement moins de CO2 que la Jeep Grand Cherokee (109 g/km contre 304).

A l’heure où la France doit à la fois lutter contre la pollution liée aux particules fines et réduire ses émissions de gaz à effet de serre, il n’est pas accessoire de rappeler que la voiture individuelle est responsable d’environ un sixième des émissions de CO2 du pays. Contacté, le cabinet d’Elisabeth Borne estime que les propos de la ministre doivent être replacés dans leur contexte : « La classification des vignettes Crit’Air repose en effet sur les niveaux d’émissions de polluants atmosphériques (notamment les particules fines). C’est pour cela d’ailleurs qu’elles sont utilisées lors des épisodes de circulation restreinte pour faire baisser le niveau de pollution de l’air ayant un impact direct sur la santé », explique-t-on. « Les vignettes Crit’Air n’ont pas de lien avec les émissions de gaz à effet de serre, qui ne sont pas prises en compte par cette classification. C’est dans ce sens que la ministre a tenu ses propos. »